3 – Ça sent l’alcool blanc, mélange de digestion, de dents gâtées et d’haleine chaude. Ne pas dévier le regard, ne pas laisser la faille, ne pas trembler, ne pas créer l’ouverture au doute, à la peur, surface lisse, zéro aspérités. Sa tête à quelques centimètres de la mienne, ses mots éructés, ses mains qui montent dangereusement, sa tête vers l’arrière qui tourne, rapace cherchant la proie effrayée et fuyante. Sa tête prête à frapper à la moindre expression de crainte.
1 – Il ne me reste presque aucun souvenir de mon enfance. À croire que j’ai un courant d’air dans la tête comme ma mère elle me le disait quand j’oubliais. Le seul truc que j’ai toujours été sûr, c’est qu’ça allait tourner vinaigre. Je sais pas pourquoi mais c’est comme si c’était tatoué dans ma chair. Pas sur la peau mais profondément en dessous, dans le muscle. Et puis après ça circule dans mes veines, mon cœur il en a des saccades.
Oui quand je suis parti, j’avais ce malaise qu’était caché quelque part. Y’a des moments on pouvait croire qu’il était parti mais ça revenait comme les musiques que tu veux pas et qui sont là et quand tu crois que c’est parti ça te reviens en un coup et ça te pourri ton idée. J’en ai pas trop, vrai, peut-être. À l’école j’étais pas un premier et même si les souvenirs j’les garde pas, les seuls que j’ai sont pas fameux. J’préfére jamais m’y attarder.
2 – Un gouffre, c’est un gouffre le cousin. J’sais pas pourquoi ça m’a direct remis la fois où on est descendu dans les catacombes avec l’école. C’était à Paris, j’connaissais bien mais j’y avais jamais foutu les pieds. On avait pris le train c’était l’expédition. Enfin, l’image du gouffre noir m’est revenue d’un coup quand j’ai vu l’cousin qui tisait comme un gros, il ouvrait grand la bouche, c’était tout noir et bien profond, il ouvrait encore plus et avalait tout à grand trait. Il aurait p’tetre pas dû, y viens d’sortir de zonz’ et j’avais déjà pas trop le cœur à lui gâcher ses retrouvailles avec la liberté. J’avoue que j’voulais pas lui piétiner son délire, j’étais pas à sa place donc j’pouvais pas savoir mais ça aurait été plus raisonnable. À ce moment-là j’ai pensé au diable tout ça et j’ai croisé les doigts en loucedé pour pas qu’on m’voit mais j’lai bien fait, ». Je suis un peu superstitieux. « On va à Paname les gars, on va chasser la d’la go, d’la parigot… » il a commencé à gueuler avec sa voix qui partait dans la déraille. Il était déjà pas super clean, on avait la tournée de la libé dans le petit royaume et on s’était mis à bédave et remis encore à tiser pour faire passer tout ça.
3 – Poser mes mots avec calme sans faire monter la pression mais sans reculer. Comme avec les fauves, jamais tourner les talons, jamais endosser le rôle de la proie. Reléguer la peur, lui fermer sa gueule d’ombre qui guette le faux pas. Je sais que la plus petite, la plus infime suffit à faire céder l’édifice. La froideur du marbre, les mots fermes, des mots simples, apaisants. Parce que je les connais tous ces mecs, faibles au fond d’eux, lui, je lis la crainte dans ses yeux, des yeux vaincus. Et l’autre à côté qui lui souffle de se calmer. Le trafic est interrompu, ce con est descendu sur la voie. J’ai réussi à le faire revenir sur le quai en menaçant d’appeler les flics.
1 – Je me suis levé tard, c’est un rythme à prendre, c’est ce qu’on dit mais moi ça m’a convient. C’est vrai qu’en me réveillant, j’avais l’impression d’être dans un champ de coton, en vrai, je sais pas ce que ça fait mais pas trop dur à imaginer même pour moi. Du coup le trajet je l’ai fait un peu à côté en décalé un peu comme si le son et l’image était pas bien synchronisé ça arrive parfois. Et puis plus je me rapproche plus ça monte en moi. Dans les couloirs du métro j’ai senti que l’impression qu’ j’avais d’abord et qu’était plutôt agréable, elle a viré comme un coup de vent qui se lève d’un coup. Et ça n’amuse plus d’un coup, c’était pas le Titanic mais ça sentait pas bon. Le décalage y s’est accentué et l’écho des pas qui frappe le sol ça commençait à faire de plus en plus bizarre. Les ombres des gens elles passaient suivis plus tard par leur son mais tout ça se mélangeait, ça faisait des traînées pas nettes et bien baveuses et le son y commençait à se déformer et à faire une bonne gadoue et moi dans j’étais pris dans cette pâte.
2 – On s’est retrouvé dans le train sans comprendre comment. Le cous’ y gueulait, gueulait. J’ai parlé avec lui pour lui calmer la tête, ça a plutôt bien marché parce qu’il s’est endormi. Moi, j’ai jeté mes yeux sur le paysage, les champs avec un peu de ville dedans puis moins de champs et de la ville partout, des tunnels, des aiguillages qui partent dans tous les sens. En arrivant à Saint Lascar, on croisait des trains de partout, les miteux de banlieue qui vibrent, la tôle prête à lâcher et puis d’autres trains, c’est peut-être ceux-là qu’on aurait dû prendre. L’idée ça m’a traversé l’esprit, j’avoue, mais j’lai pas gardé en boîte, y’avait rien à y gagner, à rêver d’ailleurs où on peut pas.
3 – Ça a été efficace mais maintenant il veut me « fumer, comme une poucave » qu’il gueule, il se carre devant moi à vingt centimètres : « j’sors de zonz ». Et il tangue comme un navire sans mer qui gîte de bâbord-tribord dans sa mare aux eaux glauques. La mer, ça m’a toujours attiré même si j’y suis allé qu’une fois dans ma vie, c’était la ville qui nous avait envoyé là-bas en séjour voile. J’y retournerai un jour, sûr, avec mon mec et les gosses quand on en aura. Mais ça je le garde pour moi, fermé à double tour, au fond tout à gauche, là où il peut pas aller le chercher.
2 – On s’est retrouvé dans le métro direction Ober., le cousin sa sieste ça l’avait relâché et il était ensablé sur des eaux plus calmes. Moi, j’ai toujours aimé le métro et ses couloirs, les multitudes qui glissent comme une mer, petite vague, grosse vague, calme plat. Là on était dans l’œil du cyclone, tout en suspension à l’arrêt autour de nous, ça m’a fait un drôle d’effet, l’impression d’être à ma place comme y faut. Ça a pas duré longtemps mais ça m’a paru bien long, un clou planté où je pouvais m’accrocher quand j’aurais besoin. Et puis ça pouvait pas rester comme ça, tout s’est remis à tourner en vrac. Les gens s’écartaient de nous rien qu’à nous voir et le cousin ça commençait à l’agacer comme il faut, y commençait à s’en prendre aux gens qui le fuyait genre comme s’il avait une maladie de pas propre.
3 – « Ma petite huître », c’est le surnom que mon mec m’a donné. J’ai appris à me fermer, c’est le seul qu’a eu la patience de me laisser m’ouvrir, de pas chercher à me forcer. « Ma perle », j’aime quand il me susurre ça à l’oreille même si ça a l’air un peu con. Tout le contraire de mon père, de ses airs affables de faux-derche. Lui, je lui ai jamais rien cédé, même ses coups de pression, ses eaux troubles n’ont pas abaissé ma garde. Il me tournait dans ses poignes, sous tous les angles par tous les côtés, il a jamais eu la clefs, il a jamais eu qu’une coquille dont il savait pas quoi faire et ça, ça l’emmerdait. Ça l’a toujours rendu dingue de pas trouver le moyen. Il est mort comme ça emporté par plus fort que lui. Ça m’a rendue plus forte et même si on en a bavé quand il était encore avec nous, je sais que je lui ai refilé un peu de venin lent et que ça a fini de lui empoisonner la vie même si a été long.
1 – J’ai pris un autre métro et j’suis arrivé à Strasbourg pour prendre mon taf. J’ai mis le gilet et j’me suis senti plus mal encore, et dire qu’y en a parmi nous qui se prenne pour je ne sais qui avec ça sur le dos. Ça ressemble vaguement à un uniforme et y s’y crois pour de vrai. Moi plus j’mets ce truc plus ça me recroqueville en mode escargot. En bien gros dans le dos pour pas qu’on passe inaperçu, ils z’avait marqué « médiateur », l’horreur, y’a pas moyen d’y échapper. On s’rend pas compte mais je crois pas que ça calme personne ce truc-là. Au contraire, t’as l’impression que ça excite leur agressivité. Tu croises les gens et tu te récolte des regards noirs, gros de leurs colères et leurs frustrations. On est médiateur de rien du tout, peut-être qu’on est juste un genre paratonnerre là pour encaisser la foudre.
2 – Dans les bars, trop jolis pour deux lascars comme nous, les gos nous ont pas sauté dessus. Le cous’ il enquillait verre sur verre. Un gouffre à alcool, ça ouvrait grand et hop au suivant. Puis y s’est mis dans l’crâne de commander une bouteille de vodka, ça a été la fin, le cous’ il était de plus en plus dézingué mais ça l’a plus fait vu qu’il hurlait pour de bon, le videur nous a collé dehors. Ça a encore duré un peu, le cous’ y voulait pas passer pour une victime. J’lui ai fait lâcher l’affaire et on est parti à l’aventure dans Paname, à la boussole sans pôle Nord. J’sais pas trop comment on arrivé à Strasbourg Saint-Denis, mais voilà que le cous’ y descend sur les voies. J’sais pas qu’il lui passe là-haut des fois. Il est en sursis. Y’d’vrai pas jouer avec ça. Et puis avant qu’jai pu le r’prendre en main, il s’met face à une meuf de la médiation, une pt’ite meuf brune, celle qu’avait dit quelle allait appeler les keufs. Tête à Tête, même si elle lui en rendait presque une, vu sa taille
1 – Samia, j’ai appris que je faisais équipe avec ce soir. Y fait chaud et c’est jamais très bon ces soirées-là nous a rappelé François. À nous de faire retomber la pression. Tu parles. Au début, ça s’est pas mal passé même si Samia, elle est pas trop bavarde. Elle montre rien et parle peu. C’est sur le coup de dix heures, il faisait encore plus chaud que ça s’est mal passé. On a eu un appel, un mec était sur les voies. Trafic interrompu. À nous d’intervenir et de régler l’incendie. Merde, v’la la gueule du super-héros. Samia, elle hésite pas, inteppelle direct le gars pour le sortir du danger sur les voies. Sors-d’ici qu’elle lui dis ou j’appelle les flics. L’ autre ça lui a fouetté les sangs. Il est r’monté direct sur le quai mais bien énervé. J’aurais voulu me barrer direct mais Samia elle a pas hésité.
3 – Alors ce mec, il sait, il a compris et il se détourne vers Kévin. Lui, j’le connais pas, Kevin, il vient d’arriver dans l’équipe mais tout de suite je l’ai pas senti fait pour ça. Je le regardai quand il me voyait pas, il fuyait de partout, avarie en fond de cale, il calfatait comme il pouvait, mais moi qu’ai l’œil, je les détectais ses micro-fissures.
Ça a pas manqué, l’autre dès qu’il m’a décollé, il lui a refait le coup, visage contre visage, quinze centimètres entre les deux. Il gesticulait et il tenait à peine debout, il envoyait ses bras dans tous les sens et le Kévin qui lui parlait, la voix toute blanche et toute tremblante.
Happée par votre texte. Une envie d’en lire davantage.
Besoin d’un petit lexique pour ce parler de la rue que vous utilisez. Mais les scènes sont bien enlevées, dans un style qui percute même si on est scotché d’emblée à une certaine misère morale qui inspire la pitié. L’alcool toujours comme manière de diluer la colère, l’angoisse et l’échec social. Peut-être faut-il donner à chaque personnage un peu plus de consistance, de dialogue intérieur pour donner envie d’adopter leur point de vue et pouvoir y répondre à quinze centimètres s’il le faut ?
Merci Marie-Thérèse pour votre avis. J’ai essayé de camper des personnages plus positifs dans mes derniers écrits. Quant à savoir s’ils ont acquis plus de consistance, tache difficile à accomplir mais que je n’abandonne pas…
J’ai plus de temps à moi actuellement, celui des vacances, et je vais pouvoir me consacrer à l’exploration du site, de ses nombreuses contributions et de tous ces univers qui se font jour et ne manquent jamais de me surprendre.
J’ai pu découvrir votre site et c’est bien aussi que Le Tiers-livres fasse cette passerelle.