1 – Quelques lueurs inhabituelles rougeoyaient du dehors. Du balcon l’air se contaminait d’huiles cuites à l’essence, les pin-pon-pin se précipitaient autour de l’énorme rond-point bleu clignotant pour s’arrêter un peu plus loin, mais avant les crépitements. Des hommes en combinaison jaillissaient des camions rouges, courant avec leur casque scintillant, enchaînant les gestes lourds de déroulement et raccordement des tuyaux sur un terrain désormais en flammes qui se propageaient très haut. Déflagration. Les fumées étaient épaisses, blanches, noires. Deux explosions.
2 – À cette heure c’était encore un immeuble blanc, cinq étages, et lorsqu’on le cherchait du regard la première fois, se présentait comme un cube raboté en haut, d’une laideur commune pour des constructions béton des années soixante. On se raccrochait au prix du loyer pour la surface occupée, grande. Sous l’enfilade des balcons à la verticale, des fissures constellaient les murs, et des blocs, surtout ceux des coins se détachaient. On entrait pour effectuer l’état des lieux. Les dimensions spacieuses du hall d’entrée entretenu nous rassuraient. En montant les étages, des voix inconnues s’animaient mêlées aux sons familiers des télévisions.
3 – Le manque de sommeil finissait par claquer d’autres portes vertement, une autre porte sourde répondait. La sueur et la poubelle poissaient sur la longueur des murs. La musique cognait. On allait appeler, ils allaient se radiner. Ce n’était pas l’endroit le plus apaisant sur terre. Un silence lourd se rompait. Puis des phares bleus illuminaient longtemps les baies vitrées. Les hurlements dans le cage d’escalier s’adressaient à chacun d’entre nous. Il allait nous buter. Il avait des armes. On n’avait pas intérêt à faire les malins et quand il allait choper le premier qui avait appelé les flics, il allait lui défoncer sa petite gueule.
4 – La fenêtre ouverte de la chambre pour évacuer la chaleur du jour, allongé sur un lit moite en attendant le sommeil, toute la nuit le chien de la maison en face hurlera à la mort.
5 – Allez monsieur, ouvrez-nous, sinon on va être obligés de défoncer la porte, ouvrez-nous tout de suite, ouvrez, monsieur ouvrez, sinon ça va mal tourner, ouvrez, bon ça suffit, ouvrez maintenant sinon quand on va entrer ça va très mal se passer. Monsieur, nous devons vérifier l’état de santé de votre petite fille. Allons, ouvrez monsieur. Vous avez dit que vous aviez des armes. Ouvrez la porte il ne vous sera fait aucun mal. Sinon nous allons défoncer la porte. Allez, monsieur, ouvrez-nous, ouvrez, ouvrez-nous, nous devons vérifier si vous n’avez pas d’armes avec vous. Monsieur, ouvrez. Nous allons défoncer la porte et ça va mal se passer pour vous. Monsieur, vous avez tout intérêt à ouvrir votre porte. Nous devons vérifier si vous allez bien. Monsieur, ouvrez la porte. Ouvrez, il ne vous sera fait aucun mal. Votre ex-femme veut savoir si votre petite fille va bien. Ouvrez. Monsieur, ouvrez maintenant. Vous avez notre parole, il ne vous sera fait aucun mal. Monsieur, est-ce que vous avez des armes avec vous? Monsieur, ouvrez. Nous allons défoncer votre porte. Ouvrez. Ouvrez. Qu’est-ce qu’elle fait votre fille? Nous devons savoir si votre fille va bien. Si elle dort, nous devons constater qu’elle dort bien.
6 – Les portes claquaient un peu. L’usure des nuits sans sommeil vibrionnait. Une musique prenait doucement du volume pour tronçonner les murs l’instant d’après. Les sons synthétiques s’électrifiaient encore, les poings sourds cognaient puis ouvraient la porte pour hurler un retour au calme déchirant. La cage d’escalier suait à grosses gouttes une adrénaline et une fatigue gluante qui s’accompagnaient de l’odeur infectieuse d’ordures, tout une atmosphère chauffée à blanc sur les mêmes portes visqueuses.
7 – Tout le sol du hall d’entrée brillait d’une seule et même flaque. Sur le bloc des boîtes aux lettres dépassaient des paquets de publicité. Elle était entrée quelques minutes avant, cachée par la nuit. Avec son mari, ils se garaient au début de la rue. Puis avec un cabas à roulettes, ils remplissaient les boîtes aux lettres en évitant toutes celles avec l’autocollant sans pub.
Les histoires naissent dans l’imagination du lecteur et bondissent hors de ce hall, de cette cage d’escalier, de cet immeuble. Suffit de fermer les yeux et le film commence. Merci.