#été2023 #4bis | le bac

On est multidirectionnels. On est tellement nombreux. On parle toujours de plusieurs endroits à la fois. On est aussi hors champ, dans le hors champ. On l’appelle. Ce n’est pas qu’il faut le laisser advenir. Il est déjà là quand tu ouvres la fenêtre. Sinon tu rabâches et tu rabâches. Dans rabâcher y’a formater. Mais y’a aussi mâcher. Tu mâches les coïncidences. Elles sont folles, elles sont la vie, elles sont contenues dans le verbe être. La coïncidence, c’est le verbe. Le hors champ, c’est la possibilité du verbe être. Tu t’installes. Tu déplaces les objets, tu déplaces l’air. Tu attends de voir une forme. C’est petit. Un porte-clés. Un carnet militaire avec des schémas dessinés au crayon. Un livret de famille qui fait se dresser une famille dans l’instant, qui la ramène vers soi alors que, on est bien d’accord, la famille est pulvérisée. Une carte postale.

Bon séjour, bons baisers, il fait beau, on pense à vous écrit R, et il ajoute le timbre, puis la poste. La carte postale représente un pont. Un pont en Bretagne ou quelque part. Un pont en Bretagne ou quelque part, près de quelques habitations et, entre deux maisons, bretonnes ou autres, un hôtel. Le cheval blanc ou quelque chose. Le pont de quelque chose — le pont du diable, le pont de la roche, le vieux pont, le pont de la croix, le pont de la motte, des soupirs, pont de l’estuaire, pont du granit, pont de l’école, le pont courbe, le pont du bac. Le pont du bac, car il y a un bac. Le pont du bac surplombe une rivière qui se jette dans un fleuve, c’est normal, et le bac près du pont fait traverser le fleuve pour débarquer sur l’autre rive. Et l’hôtel c’est l’hôtel du bac. Une histoire de sauts de puce à l’échelle mondiale. L’échelle est très petite, c’est un point sur la carte, un trou d’aiguille. On zoome dessus. On change de focale car il s’avère qu’on est multidirectionnels à focales multiples. C’est ce qui est sublime. On est tellement nombreux que nos focales se croisent en toiles d’araignée si denses, découpées et articulées, qu’on peut toujours zoomer plus loin, très loin. Jusqu’au grain de la peau, comme du Pollock de près.

R envoie sa carte postale que B a signée aussi. R et B envoient cette carte postale à L et M. Puis chacun fait ce qu’il a à faire.

La coïncidence, c’est le hasard, R a pris au hasard la carte postale dans la boutique, il la trouvait jolie avec cette rue, cet hôtel, ce pont, ce bac. Cinq jours plus tard, R et B arrivent dans le paysage de la carte postale, car R et B sont en vacances, se promènent au hasard des routes et de la suite des noms de lieux. Ils se regardent, s’étonnent. C’est la carte postale ! dit R qui se souvient. Et B se souvient aussi, croit se souvenir, n’est pas très sûre, mais B n’est jamais très sûre. Si, je t’assure, lui dit R — c’est l’emploi de R d’assurer. Ils prennent un café ou une limonade à la terrasse de l’hôtel du bac, sur la terrasse de l’hôtel du bac, devant le parking du bac. Attendent. Vont prendre le bac dans une heure, B a déjà acheté les billets — elle les serre dans son sac qu’elle tient toujours serré. Une voiture arrive. Elle se gare. L et M sont à l’intérieur. Ils sortent, font de grands signes, sont contents de retrouver R et B. Pourquoi êtes-vous là ? On est venus exprès. On a cherché le pont, l’hôtel, le bac pour vous trouver. Alors, et vos vacances ? Il est bien cet hôtel ? demande M. On ne sait pas. On ne loge pas là, on vient d’arriver. On part dans 45 minutes, on prend le bac. La carte postale, c’était n’importe laquelle, le hasard du présentoir. L dit qu’ils ont cru que B et R avaient réservé là, que c’était là qu’ils passaient leurs vacances, et L a dit à M allons les voir, c’est simple, le nom de leur hôtel est sur la carte postale. Ils se sont retrouvés, parce que ça existe, les retrouvailles. Quatre minuscules points sur la carte, quatre trous d’aiguille. Une traversée. Un jour, une heure, à quelques minutes près c’était perdu.

Ils jouent aux cartes, au tarot souvent, au cinquième étage, souvent ils rient, je ne comprends rien aux règles, je ne comprends rien à leurs histoires, mais quand ils racontent celle du bac, il y a du silence ensuite, et l’écho du silence ensuite, parce qu’on ne cesse pas d’être sidéré par ce qui existe et qui aurait pu ne pas être.

A propos de C Jeanney

or donc et par conséquent, je fais ce que j'ai à faire sur mon site tentatives

4 commentaires à propos de “#été2023 #4bis | le bac”

  1. Mais oui ! Sidéré aussi par cerataine coïncidence, les copains me racontent des histoires de mécanique quantique, de superposition de réalités. Je n’y comprends couic mais je réalise en te lisant que c’est certainement en plein dans la consigne.