De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Rares sont les fois où il ne l’est pas. Dans la première voiture située dans le wagon de tête, se retrouvent régulièrement plusieurs individus. L’un d’eux prend ce train tous les jours de la semaine, sauf le weekend, et il est le seul à faire le trajet en entier, à monter dans la première gare et à descendre au terminus. Trois personnages, un couple et un jeune homme, prennent ce train dans la première gare plusieurs fois par semaine mais pas tous les jours et descendent tous les trois à la troisième gare. Trois autres individus qui ne sont pas passagers de cette première voiture du train en question font partie de l’histoire. Il y a le contrôleur du train qui, pas tous les jours mais régulièrement, entre dans la voiture par la porte intérieure située à l’avant et en sort par la porte arrière. Une jeune femme monte à la deuxième gare et descend à la quatrième une ou deux fois par semaine. Elle ne monte pas dans la voiture de tête mais les passagers peuvent la voir sur le quai de ces gares par la fenêtre. Enfin, un dernier personnage habite une petite maison en contrebas de la voie ferrée juste avant la deuxième gare et, tous les matins à l’heure où passe le train, boit un café et lit le journal dans sa cuisine. Bien sûr, il y a une multitude d’autres personnages dans cette histoire mais ils ne sont pas importants pour comprendre ce qu’il se passe. Quand tout va bien, parce que parfois, le temps dérape.
De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Parfois, il ne l’est pas. Parfois, il est en retard de quelques minutes. Dans ces cas là, les personnages en question ne changent pas beaucoup leurs habitudes. L’un regarde un peu plus souvent sa montre, il n’a pas vraiment envie d’arriver en retard à son bureau et d’essuyer les remarques de sa cheffe de service. Le mari glisse un mot à l’oreille de sa femme, assise en face de lui, qui ne prend pas la peine de quitter les yeux de son livre. L’autre referme son journal sur la table de sa cuisine quand le train passe devant sa maison. Pour le reste, rien ne change quand le premier train du matin possède quelques minutes de retard.
De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Parfois, il ne l’est pas. Parfois, il est en retard de plusieurs heures. Dans ces cas là, l’un se révèle moins stressé. Il défait le noeud de sa cravate, remonte les manches de sa chemise et profite du paysage qui défile derrière la fenêtre. Il pense aussi à cette jeune femme qu’il voit parfois monter dans le train dans la deuxième gare et il se dit qu’il l’abordera un jour. Le couple est en grande discussion, ils parlent de l’organisation de leur journée au lycée où ils enseignent, respectivement, le français et les mathématiques. L’adolescent, élève en première dans ce même établissement, est toujours engoncé dans son siège, capuche sur la tête, un casque sur les oreilles et les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur portable. Il n’y a personne dans la cuisine de la maison en contrebas. Le contrôleur, ne traverse pas le wagon.
De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Parfois, il ne l’est pas. Parfois, il retombe en enfance. Un jeune garçon, c’est peut-être l’un, mange une sucette en regardant dehors. Il se dit qu’il n’a pas envie de partir en vacances, qu’il préfère rester dans ce train. Pas comme sa soeur qui rêve d’ailleurs. Un enfant, avec une capuche sur la tête, lit une bande-dessinée qui racontent une histoire d’aliens et de vaisseaux spatiaux. C’est peut-être un autre. Dans la forêt qui longe la voie ferrée, un garçon, tout jeune lui aussi, aide son père à ramasser du bois. Une belle petite fille à la peau cuivrée, elle est peut-être l’une, sourit dans les bras de sa mère qui marche sur le quai. Une petite fille en robe courte et un jeune garçon en short se parlent dans une langue que personne ne comprend. Plus tard, ils se marieront peut-être. Seul, le contrôleur du train, n’a pas changé d’aspect. Les cheveux longs, un anneau à l’oreille, il porte l’uniforme ouvert et la casquette mal ajustée de la compagnie des trains.
De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Parfois, il ne l’est pas. Parfois, il est hors du temps. Un vieil écrivain trace quelques mots sur un carnet de notes rempli de ratures. Un homme âgé s’est assoupi devant l’écran de son ordinateur portable. Un couple de vieillards regarde par la fenêtre en se tenant la main. Sur le quai, une vieille dame portant un long manteau de toile claire sourit en voyant le train ralentir devant elle. Un homme boit son café et lit son journal dans la cuisine d’une maison en contrebas. Un contrôleur en uniforme, étonnamment jeune, traverse le train sans rien demander à personne.
De façon générale, le premier train du matin est à l’heure. Parfois, il ne l’est pas. Parfois, c’est juste un filet d’air qui passe. Il n’y a personne dans la voiture du wagon de tête que, de toute façon, personne ne voit. Il n’y a pas d’homme se rendant à son bureau, ni d’enseignants qui se dirigent vers le lycée où ils travaillent, ni d’adolescent plongé dans son ordinateur portable. Il n’y a personne au dehors qui regarde passer ce train, pas d’homme qui boit son café et lit son journal, pas de jeune femme en train de sourire. Il y a juste une très vague silhouette d’un contrôleur portant boucle à l’oreille, cheveux longs et uniforme de la compagnie des trains qui semble emporté par le filet d’air. Comme un fantôme.
j’ai eu à un moment donné le sentiment d’être dans un tableau de Hopper, fixe dans le mouvement, juste dans le filet d’air qui passe…
richesse des personnages, justesse des observations…
vraiment bravo, cher JL
J’aurai dû avoir Edward Hopper en tête au moment d’écrire, ça m’aurait aidé. Merci Françoise.
L’univers des RER, trains de banlieue, TER, métropolitains, une richesse, une densité de vie inouïe, c’est un bonheur de lire cela, et l’image fantomale de fin, c’est étonnant… une histoire entièrement déroulée par fragmentation dans un train, les personnages finissant par se rencontrer ?…
Où nous entraîne ce train… C’est très original, c’est du quotidien, du fabuleux, du fantastique, du vécu et du vivant, le train métaphore du temps, j’ai adoré. Si tu retravailles le texte, peut-être aurais-tu intérêt à soigner la mise en place du premier paragraphe, essentielle mais pas forcément évidente à suivre.
Je n’avais pas lu les textes précédents lorsque j’ai posté mon commentaire, ils éclairent cette lecture.