J’ai préféré naître d’une rose au milieu des choux à la crème et des tartelettes de la Boulangerie moderne, j’ai aimé penser avoir été apportée par une cigogne.
J’ai appris à ramper, puis à grimper dans l’escalier de la maison natale, j’ai pris appuis sur le rebord en bois haut de la marche, levant les yeux vers les murs décorés d’oiseaux peints à la main, j’ai vacillé dans l’escalade entrainée par le poids de la couche malcommode.
Je me suis débarrassée de la couche.
J’ai adoré dialoguer avec les pivoines quand nous faisions la même taille.
J’ai refusé d’apprendre à lire puis j’ai désiré apprendre à lire. J’ai conjugué ce verbe à tous les temps, par tous les temps – du calme plat sur le tapis du palier aux grands chamboulements des familles, des maisons, des hormones, des voyages, des ruptures, des rencontres.
J’ai longtemps parlé trop vite pour tenter d’être entendue, puis je n’ai plus rien dit.
Je n’ai pas choisi d’être grande très vite, ni les seins si lourds si tôt, ni leur gêne dans la course, ni les regards ni les approches adressées à une autre que moi. Je n’ai pas choisi ce corps comme un drapeau. Je l’ai caché sous les vestes trop grandes du père.
J’ai désiré être comme, je n’ai pas réussi, j’ai décidé d’être autrement tout en enviant ceux qui faisaient comme. J’ai détesté le tableau noir puis blanc, l’école dans toutes ses classes. J’ai été sauvé par une école expérimentale, j’ai fait de la géométrie dans l’espace grâce à relaxation, j’ai construit une cabane à mouton, j’ai fait du théâtre, j’ai commencé à écrire, j’ai recommencé à parler, je n’ai jamais appris les identités remarquables en mathématiques.
J’ai apprivoisé hauteur et rondeurs, j’ai revendiqué mes cheveux frisés, j’ai mis du Khôl sur mes paupières, j’ai commencé à fumer, j’ai continué longtemps à être myope sans lunettes, protégée par le flou.
J’ai osé me mettre à danser, j’ai adoré la musique trop forte, la vibration des baffles, le poids du verre dans une main, le retrait du monde.
J’ai appris à écouter les mots des autres, le vent contre les feuilles, l’imperceptible zézaiement des insectes.
J’ai aimé la fac, je suis restée à la fac, je ne voulais plus sortir de la fac.
J’ai entendu qu’on choisissait toujours. Je n’ai pas compris cette phrase puis, plus tard, je l’ai comprise.
Une fois, j’ai préféré La ralentie d’Henri Michaux aux anxiolytiques.
Je suis partie à Paris, je suis partie aux Antilles, je suis partie dans l’océan Indien, je suis allée d’île en île, la dernière en Atlantique.
J’ai écouté la météo marine et M.
J’ai fait des virées de marins, j’ai rencontré la folle ivresse des marins, j’ai croisé leur colère tapie puis surgie, j’ai perdu six points, je ne suis pas tombée dans le port.
J’ai porté des sacs à main toujours trop grands et trop lourds, toujours lestés de livres et de carnets, j’ai rêvé de sacs, j’ai appris que le sac symbolisait le sexe selon Freud.
Je continue à lire et à écrire, à fumer trop, à parler, parfois trop, à écouter, je porte toujours des sacs trop lourds, je suis retournée à la fac du côté du tableau, j’ai planté des pivoines, je mets mes lunettes, j’ai troqué la mer contre un fleuve, le rhum contre le crémant, la cigogne contre un perroquet
Ce beau texte m’avait échappé ; traces de pas d’oiseaux dans la couche de neige d’une vie, délicats.(le sac serait l’utérus, selon le même) et le dernier paragraphe qui rassemble toutes les traces. 🙂
Merci dame de ta lecture !