En fin de journée, quand il n’y a pas trop de vent, le ciel se fait transparent, dais de lumière sur les rues tranquilles. Il en faut du temps pour arriver dans cette ville posée comme une île au milieu du sable. Le voyage en bus m’a donné le tournis, le vertige du vide pour mon oeil de citadine occidentale habituée à être happé par la multitude des signes, enseignes vitrines entrepôts immeubles panneaux de signalisation publicités véhicules lignes de tram de bus d’autoroutes de rocades de pistes cyclables lignes de câbles de poteaux ligne des vies croisées dans ce jeu de bilboquet ; la seule ligne ici est celle de l’horizon, ligne assumée où j’ai cru vriller d’attente, insoutenable pour qui cherche toujours « quelque chose ». La gare routière se situe dans la partie basse de la ville, construite par les Espagnols à partir de 1934, en bordure de l’oued. Dans le grand hall, des panneaux d’affichage lumineux, le bruit des valises à roulettes, les ballots que l’on traîne à même le sol, des guichets éteints et vides comme des décors de cinéma au bord de l’abandon, les carreaux grand format du carrelage qui paraît frais mais qui ne l’est pas, des bancs métalliques et des silhouettes en burnous en melhfa posées dessus. À l’extérieur, face à la sortie, un champ de maisons dômes. Un champ d’oeufs dans la poussière et la rocaille. Prêts à éclore. Gonflés de l’intérieur de tout ce qui se dérobe au regard, par l’épaisseur des murs, qui semble énorme. Rien autour de ces maisons, conçues pour résister au vent au sable au soleil. Des garçons jouent dans le terrain de foot derrière. Elles semblent posées depuis une éternité, elles semblent attendre, couver des hommes des femmes des enfants destinés à vivre entre les dunes, entre l’erg et le reg. Certaines ouvertures sont bouchées par des parpaings, mais du linge sèche aux grilles qui ferment les « fenêtres ». Je n’ai pas besoin d’appeler un taxi. Je ressemble tellement à quelqu’un qui vient d’arriver qu’il y en a un qui s’arrête, rouge et blanc. Quand je lui indique le San Mao Hotel, le chauffeur me comprends de suite. Tout le monde ici connaît San Mao.
Je ne sais pas si la gare routière existait déjà à l’époque de San Mao.
« le vertige du vide pour mon oeil de citadine occidentale habituée à être happé par la multitude des signes, »
C’est si vrai, et cela tout fait comprendre en quelques mots.