L’ascenseur s’ouvre sur un hall de forme rectangulaire. Murs peints en blanc, sol de béton ciré gris sable. Trois portes peintes en gris sable aussi. Différences de textures et de nuances. Des œuvres abstraites, peut-être des reproductions, tentent de donner de la vie à cette pièce qui n’est somme toute qu’un sas et qui, comme la plupart de ses semblables, ne voit la lumière du jour qu’en d’infimes et brèves occasions. La porte face à l’ascenseur est entrouverte. Aucun bruit ne s’échappe de cet entrebâillement. Elle s’approche lentement et pousse le battant. C’est un autre monde qui s’offre à elle. Elle pénètre dans un vestibule carré percé de deux petits couloirs, l’un à gauche et l’autre à droite, sur le mur du salon face à l’entrée, une reproduction dans un cadre doré du Silence de Khnopff. Voilà qui avertit le visiteur d’entrée de jeu. De quoi ? Elle n’allait sans doute pas tarder à le savoir. Sur les murs du vestibule, peints en gris sable eux aussi mais plus sombre qu’à l’extérieur, des reproductions des portraits féminins de Khnopff. Dans le coin à droite de l’entrée, un meuble porte-manteau avec dans le bas un support contenant plusieurs parapluies canne noirs et aux crochets, des vestes et imperméables lourds et d’allure fatiguée, quelques chapeaux Trilby dont un en paille avec ruban noir. Au dessus, une scène de campagne peinte de couleurs sombres et sur le haut du meuble quelques vieilles boites en carton. A l’opposé, une lampe art nouveau au pied de cuivre jaune évoquant un farfouillis de tiges et de feuilles surmonté d’un globe en verre dépoli gravé de motifs floraux. Au sol, un tapis d’orient élimé. Sur une commode rustique en noyer, une lampe Tiffany avec abat-jour à motif de tournesols éclaire d’une lumière diffuse cette entrée d’un autre temps et empêche le visiteur d’avoir vue directe sur le salon, accentuant ainsi l’atmosphère mystérieuse qui règne dans l’appartement. Elle attend quelques secondes se disant qu’il va venir l’inviter à entrer plus avant dans l’appartement, mais rien, aucun mouvement. Elle avance et se tourne instinctivement vers la gauche du salon, longue pièce rectangulaire perpendiculaire au vestibule. Devant elle, un canapé Chesterfield en cuir marron sombre aux assises fendillées par endroits, un plaid à franges et à carreaux marron, lignes blanches et vertes, dressoir et table basse en noyer sombre aussi, jonché de livres et de papiers, au mur la Lady Godiva de John Collier, et ce qui la frappe, ce sont les moulures qui encadrent le plafond, ça ne se fait plus dans les appartements de construction neuve ou rénovés et celui-ci l’est, sans conteste, mais la décoration a été conçue pour effacer toute trace du présent. D’une rosace en forme de fleur un lustre, art nouveau lui aussi, tiges en laiton et tulipes en pâte de verre, descend dans la pièce. Les corolles diffusent une faible lumière que vient soutenir une autre petite lampe surgissant du tas de livres et de papiers de la table basse. Lorsqu’elle lève les yeux, elle voit la silhouette calée dans un fauteuil bergère en velours vert bouteille. C’est un homme âgé, cheveux blancs coiffés vers l’arrière, visage buriné mais énergique, l’œil alerte et énigmatique derrière des lunettes rondes, veste pied de poule sur chemise blanche à foulard et pantalon de velours côtelé.
— Entrez donc, madame, je vous attendais.
Quelle atmosphère étrange, presque inquiétante dans cet appartement à la décoration » conçue pour effacer toute trace du présent « . (un instant j’ai cru qu’elle allait trouver un assassiné). Beaucoup aimé
Merci Muriel 🙂
une vraie tension, c’est saisissant.
Merci Françoise de ta lecture et ton commentaire 🙂
on dirait Sherlock Holmes (elle a perdu son mari ?) (ça marche vraiment bien)
Haha ! A voir, à voir… ! Merci 🙂
Lu jusqu’aux tableaux de Fernand Khnopff et de John Collier, sans attirance immédiate pour cette atmosphère éteinte, un peu surannée,mais très raffinée, légère appréhension à pénétrer dans cet « antre » bourgeois où attend le personnage aux cheveux blancs. Ce – » Entrez donc madame, je vous attendais » , laisse présager toutes sortes de scénarios des plus pudiques aux plus lubriques, mais on en a sait rien, le temps est à la confidentialité feutrée et à la surprise probable… L’histoire est encore cachée…
Merci Marie-Thérèse 🙂