Se souvenir des pavés humides luisants, de la rue au tracé rectiligne, de l’îlot compact de maisons ouvrières basses, en implantation homogène et continue, de la maçonnerie en brique, du mortier de jointoiement coloré essayant de rompre avec la grisaille générale. Voir la porte au numéro 3, l’ouvrir tout chargé du déracinement dans cette ville du Nord, de l’enfance perturbée, de tous les meubles abandonnés dans le Sud. La porte grince, tel un cri d’oiseau prisonnier dans sa cage, découvrir la location meublée. À gauche en entrant un petit salon sombre, donnant sur la rue en rez-de-chaussée, vieux mobilier sans style, tentures poussiéreuses, motifs indistincts, au sol un vieux parquet inégal crissant à chaque pas, une lampe à pétrole en verre bleu sans mèche sur une commode, une table et quatre chaises en bois. La fenêtre à grands carreaux sales et à imposte vitrée craint de s’ouvrir sur la rue morne, le volet qui l’occulte la nuit est un volet plein composé de larges planches verticales grises assemblées et confortées par des traverses en bois. Quitter le salon traverser un couloir sombre déboucher sur une cour libérant un peu de lumière, encombrement de poubelles, d’une pelle, d’un seau, d’un balai, d’un maigre pot de fleurs rabougries. Aucun souvenir des chambres à l’étage, de la cuisine. Persiste dans la mémoire une odeur de renfermé et d’humidité, le Sud est loin, le Nord est lugubre, c’est l’hiver. Le quartier d’ouvriers du textile écrase apeure. Le soir de l’arrivée trois coups de marteau à la porte, la voisine du 5 apportant une soupe fumante, elle a repéré les deux jeunes enfants, leur égarement. Le fumet respire encore, le sourire éclaire toujours la pièce, pas d’âge pas de couleur pas de son dans la mémoire. Seule une présence humaine chaleureuse secouant tout à coup la grisaille environnante et intérieure.
Je retiens : Le fumet respire encore, le sourire éclaire toujours la pièce.
pour moi aussi c’est ce qui est le plus présent
merci Nicolas de votre passage
Très touchée par ce texte, l’évocation du déracinement avec ces mots secs, rythmés, sans emphase, d’autant plus marquants… quel réconfort cette soupe !
merci Muriel de cet écho.
c’est difficile de traduire le déracinement ressenti dans l’enfance.
Belle, cette scène (je vois à peu près où elle pourrait se situer…) qui évoque ce passage du sud au nord, du doux au rude
et belle, cette chute émouvante avec la silhouette qui apporte du pain, un plat de soupe fumante…
un souvenir d’enfance plein de contraste
la soupe est définitivement associée au réconfort