Il y a là les mots, les mots d’un autre avant les siens, les mots de l’Autre. Il y a la nécessité, bic cristal en main, d’y aller, d’enjamber, de faire en fil se soi, de tisser cela avec de qu’on a en dedans, quelque chose qu’on pressent, qui n’a pas encore sa forme, pas encore ses mots, quelque chose qui affleure, ce n’est pas loin mais il faut de la déprise et ce relâchement et aussi un peu d’inconscience, d’insouciance, là, à l’instant de laisser couler un filet d’encre sur la feuille. Un format A4 éclatant d’un blanc assassin semble aspirer tout le soleil de printemps qui tombe du velux et ça invite à obscurcir, à puiser de l’ombre en son puits intérieur parce que sinon ça blesse l’œil et les autres ils sont là dans la lumière à remâcher leurs pensées, peut-être, à se remuer en leur dedans, et l’ombre si près dans les coins qui nous observe. Il y a cet air, une densité malsaine, cet air-là, on s’en défie, on s’en protège et on l’inspire quand même à la fin et ces mots on les ressort du mouchoir plié en nous, ils disent ce qui doit sortir et qu’on a de la peine à mettre dans la lumière, qu’il faut exposer mais protéger de l’obscénité, c’est pour ça qu’on a du mal à dire. Ça dit mais sans trop, trop d’émotion, trop de précaution, de broderie et de joli. Quelque part, pourtant, tout près, il y a suffisamment de confiance, de déraison et d’abandon.
« ce n’est pas loin mais il faut de la déprise et ce relâchement et aussi un peu d’inconscience, d’insouciance, là, à l’instant de laisser couler […] et ça invite à obscurcir, à puiser de l’ombre en son puits intérieur parce que sinon ça blesse l’œil et les autres ils sont là dans la lumière à remâcher leurs pensées, peut-être, à se remuer en leur dedans, et l’ombre si près dans les coins qui nous observe […] Quelque part, pourtant, tout près, il y a suffisamment de confiance, de déraison et d’abandon. »
Je me reconnais bien, en vous lisant, dans ce scrupule assez universel à passer de l’ombre à la lumière avec une certaine crainte que la page blanche semble contenir.. Peur de noircir le tableau ? Peur de recevoir le jet d’encre survenant du lecteur ou de la lectrice ? Mais au fond on apprend rien en écrivant, on confirme simplement l’idée que ce qui s’échange entre le dehors et le dedans n’a pas besoin de permission spéciale. Juste d’écriture tamisée, un peu comme la lumière. Merci pour le caractère synthétique et authentique de votre réflexion sur ce moment de seuil.
Très juste, c’est quand « ça dit » qu’on tient quelque chose ; élaguer ensuite, crève-cœur… JMG
en arriver au moment où « il y a suffisamment de confiance, de déraison et d’abandon. » et espérer que cela suffit