#été 2023 #01bis | Cachette

La première cachette avait des spirales. Comme s’il fallait que les feuilles s’accrochent de toutes leurs forces à l’enroulement, une sorte d’escalier à vis transportable autour duquel s’articulait le refuge. Elle était toute en longueur, mince, facile à dissimuler, faite pour accueillir le déroulement secret de ce qui ne pouvait être dit ailleurs : séparation insupportable d’avec le domaine, évidence de la rencontre qui donne envie de disparaitre, et l’antidote – désir de recueillir ce qui pouvait faire contrepoids. Cristallisation de cris, de décalages énigmatiques, d’appels au secours jamais envoyés, de rêves forcément étranges. La table surélevée d’un repas, dans une lumière pleine d’arceaux. Le bain qu’il fallait prendre au bout de la table avant de commencer. La menace d’une terrible mise à l’épreuve émanant de la femme jalouse; les dangereux qu’elle avait convoqués pour recopier en les déformant les pages de mes cahiers et carnets mis à nu. Les pages déchirées et la gauchère contrariée ridicule avec son pauvre amour impossible. La couverture de la première cachette était noire et l’encre utilisée à l’intérieur, d’un vert turquoise. Une belle couleur un peu rare. Grand-père, qui écrivait le plus souvent à la machine à écrire, fabriquait lui-même son encre, destinée à ses lettres intimes. Il en faisait toujours un flacon pour moi : il ne comprenait pas toujours ce que je cherchais à écrire ou à fuir mais c’était à lui que je lisais certains passages et il était si fier, il disait que c’était ma musique. Tu te souviens ? Dans le midi de la lune, il y a mon cœur, le verre dépoli où tu te fixes malgré moi, tu entends ? Malgré moi. C’était écrit : on pouvait se refermer, mettre les mots à l’abri, faire semblant de ressembler à tout le monde. La fugue a certainement commencé là, sur les pages à petits carreaux, voiles bien accrochées à leur mât spiralé.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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