- Qu’est-ce qu’il fait ?
- ……………………………
- Il lit
- (Un temps)
- Et maintenant ?
- ……………………………
- Il écrit
- Autour de Mortin- Robert Pinget
– Ah, maintenant, il lit ; il relit ce qu’il vient d’écrire
– Et alors ?
– Il chiffonne le papier, jette la boule dans la corbeille, la manque ; il se lève, ramasse, déplie la feuille sur la table
– Il écrit avec quoi, je veux dire comment ?
– Un Bic ordinaire, un Bic Crystal ; il a aussi un ordinateur, il me tourne le dos, son image se reflète sur l’écran.
– Il porte toujours une moustache ?
– Je ne vois pas bien, peut-être, mais alors, petite, à peine une ombre.
– La table ?
– Le bureau ? Oui, on aurait pu commencer par là. Table ronde, assez grande, (on pourrait manger à huit…), dessus blanc, foutoir, mais des espaces, quelques volumes empilés, livres ou carnets noirs, un coffret laqué bleu-nuit à motifs indiens, des feuilles blanches, vierges, quelques une écrites, on dirait des listes, un appareil photo noir.
– Sa canne ?
– Posée en travers de la table, ne peut pas tomber ; à la fois presse-papier et objet inattendu.
– Une lampe ?
– Moderne, éteinte, dans le style laqué blanc, fonctionnelle, posée sur une ramette de feuilles à peine entamée.
– La lumière du jour ?
– Il tourne le dos à la baie vitrée, grand ouverte, d’où je l’observe. Un rideau bleu pâle est tendu sur une moitié.
– Le mobilier ?
– Il fait face à un meuble blanc, cases carrées, remplies de bouquins, partitions rangées à plat, de boîtes « genre à chaussures ».
– Les murs ?
– Blancs, mais commencent à s’assombrir par places, tableaux modernes, abstraits, et un figurant une lavandière sous des saules, photos.
– Dimensions ?
– Très grande pièce, chambre, bureau, studio-musique, « rencontre fortuite d’un piano et d’un vélo d’entraînement (position couchée) ».
– Qu’est-ce qu’il fait maintenant ?
– Je ne le vois plus (un temps) ; parti pisser, sans doute. Non, remonte avec un café, un de ces biscuits appelés « financier », il le trempe dans le café ; un chat saute sur la table, se couche, je dirais qu’il a l’habitude.
– Il caresse le chat ?
– Non, l’animal semble s’être endormi aussitôt.
– Pouvez-vous le décrire ?
– Difficile, un petit brun aux reflets moirés, chat de gouttière, je dirais.
– Il écrit de nouveau ?
– Non, il relit, comme s’il racontait au chat. Maintenant il ouvre une sorte de cahier, feuilles lignées, il a dévissé un stylo, il écrit dans le cahier, ça va vite, la plume paraît glisser, sans doute un papier de qualité.
– La couleur du cahier, son format ?
– Couverture beige-rose, avec une bande de reliure ponceau ; format intermédiaire, je dirais 18×25 ; d’autres formats rares disposés sur la table.
– Des notes ou un texte suivi ?
– Ah, il s’interrompt, pose le cahier à sa gauche, approche l’ordinateur et commence à taper le texte.
» Maintenant il ouvre une sorte de cahier, feuilles lignées, il a dévissé un stylo, il écrit dans le cahier, ça va vite, la plume paraît glisser, sans doute un papier de qualité.[…] – Ah, il s’interrompt, pose le cahier à sa gauche, approche l’ordinateur et commence à taper le texte.
Simple filature romanesque ou journal d’un chat de gouttière embourgeoisé mais indifférent ? L’enquête est bien menée, une simple caméra pourrait nous dire la suite. En tout cas cela n’est pas du tout angoissant comme début de roman.
Très réussi, bravo.
Oui, entrée originale. Difficile à mettre en œuvre, probablement, au long cours…
Je suis, moi aussi, amateur de cette forme de récit via le seul dialogue. C’est un art difficile !
« Non, il relit, comme s’il racontait au chat », ahah j’aime beaucoup l’image !
– Qu’est-ce qu’elle fait ?
– Elle commente.
– Elle a lu ?
– Oui, et ça lui a bien plu.
– Qu’est-ce qu’il écrit ?
– Une phrase
– On dirait…
– Oui… des remerciements.