- Tu comprends ce type, il marque l’histoire ! C’est le journaliste qui l’a écrit. Le sportif vient de remporter une compétition saisonnière, il s’est surpassé, ou il a eu des adversaires un peu moins inspirés ou entraînés, on ne sait pas… on n’ira pas creuser… Mais là, sur cette photo, il lève le poing, dans le geste moderne de tirer la chasse d’eau pour signifier qu’il les a tous noyés. Tu préfères ne pas en savoir davantage, tu étais en train d’écrire et l’irruption de cette information pop-up sur l’écran d’ordinateur a court-circuité ta démarche. Pas pour longtemps.
- Tu as aimé ce texte d’Annie Dillard, sa fraîcheur, son humour. Oui, si c’est cela écrire, tu te dis que tu es d’accord. Cette auteure que tu ne connais pas, tu ne cherches pas à l’imiter, ton propos n’ a pas les mêmes décors, mais ce qu’elle raconte entre comme dans du beurre dans ton esprit. Elle dit : – j’écris ceci dans le plus récent de mes nombreux bureaux, aussitôt, tu sautes comme un cabri dans tes souvenirs, tes bureaux n’avaient rien à voir avec des ateliers d’écriture, tu n’étais pas là pour cela. Et nulle trace de bibliothèque dans ces endroits-là. Celle qui t’attirait était encore professionnelle, dans un bâtiment étrange appelé La Rotonde installé à l’abri des arbres centenaires au milieu du parc. Tu n’as jamais eu le temps de t’y asseoir assez longtemps, comme dans les bibliothèques étudiantes. Mais tu y as emprunté une quantité faramineuse de livres tous juste édités, et des revues thématiques en lien avec ta pratique. La bibliothécaire t’avait à la bonne. Très peu de personnel en activité fréquentait ce lieu d’enchantement intellectuel. Les journées laborieuses étaient déjà trop longues. Tu en déduisais que c’était pour tes pairs du temps volé à leur vie extérieure. Tu les comprenais. Tu as eu la chance de croiser la route d’un groupe de professionnels qui ont créé un forum de rencontres sur le thème de l’écriture en demandant que les rôles soient échangés, dans le style « écris ma vie ». Le résultat fut brillant et fulgurant. C’est à cette époque que tu as commencé à écrire, d’abord pour mieux comprendre ce que tu vivais, et pour mieux accomplir ton travail quotidien. La prise de notes n’a jamais cessé ensuite. Tu en parleras plus tard. Toi- même, à la Rotonde tu ne faisais qu’y passer, avec la vague impression de transgresser quelque chose. Une fois repérés et soigneusement sélectionnés, tous les livres achetés de cette époque, sont devenus ce que tu appelles des Livres Sentinelles , certains sont maintenant stockés dans des cartons d’archives étiquetés. A ta portée, tu n’as gardé que certains auteurs, la plupart masculins puisque c’est la loi de ces milieux où les femmes n’avaient pas encore voix au chapitre…
A midi, repas dominical, on parle politique et littérature, quelqu’un dit : – moi ça ne me gêne plus de dire autrice, je m’y suis habitué ! Tu souris sans te mêler au débat. Avant on entendait – qu’est-ce que c’est que ces conneries !… ou, ça va devenir compliqué pour l’apprentissage à l’école…
Tout le monde (ou presque) connaît ton militantisme pour la promotion de l’écriture au féminin, et à moindre vigilance, ton intérêt relatif pour l’écriture inclusive , c’est pourquoi, si ça se fait sans toi, ce n’est pas vital, tu imagines déjà qu’on a pas mal avancé sur le sujet. Tu écoutes. Dans le cas où zou ! Tu ne sais pas si tu préfèrerais qu’on t’appelle auteur ou autrice, écrivain ou écrivaine, poète ou poétesse… tu imagines que tout cela va encore bouger et que ce n’est que la pointe d’iceberg sur la masse critique du volcan des voix féminines à laquelle tu appartiens sans repentir. Ton écriture vient du magma maternel. Tu en es intimement convaincue.
La machine à écrire qui entre en éruption dans le livre d’Annie Dillard est la métaphore presque parfaite de ce mouvement individuel et collectif. Un volcan à soi !… C’est peut-être excessif. Mais ça te fait sourire.
Tu entends, ce soir, dans la vidéo, cette phrase magnifique et probablement excessive elle aussi : En rencontrant l’absolu on s’éloigne de l’amour…
Jusqu’à plus ample informé, tu laisses en suspens la supposition.
[…]
Ça suffit pour l’instant…
L’idée du manifeste d’écriture accompagnant l’idée de ce qu’est l’auteur, l’un nourrissant l’autre et vice versa.
L’une et l’autre ont parties liées dès le départ. Mais souvent ce n’est pas assez clair pour celui ou celle qui prend la plume pour dire quelque chose , en ne sachant pas toujours décider si la destination est personnelle ou vouée à se perdre dans le regard d’un.e autre. L’ambition serait de cibler un peu plus que soi pour que porte mieux la voix. C’est risqué à chaque page encrée. Merci pour ton passage Patrick; je te lis tous les jours.Et je ne sais plus trop faire écho mais je suis attentive à ta démarche, à son épuisement aussi dans le questionnement orouboros.
J’aime ce tissage de fulgurances posé là, sur le palier de porte de l’autrice et qui esquisse son portrait arrêté.
Jean-Luc me facilite la tâche : tissage de fulgurances c’est cela
La Rotonde… le groupe, l’élan, à combiner avec le Volcan en soi, les mouvements contraires à mener jusqu’au plus loin.
Bonne suite.
Marie-Thérèse,
J’aime beaucoup la porte par laquelle on entre dans votre texte. Lors des premiers mots, on se demande ce qui nous attend, on avance à tâtons, puis, on comprend, et on pense à toutes ces choses qui nous extirpent d’un moment d’écriture, une pub sur Internet, un appel téléphonique, un voisin qui met sa musique à fond ou qui débarque à l’improviste…
Et ce partage, cette intimité de votre entrée dans l’écriture.
Et l’envie d’en savoir plus sur le militantisme écriture – femme qui vous porte.
Merci.
Au plaisir de continuer à vous lire.
» il lève le poing, dans le geste moderne de tirer la chasse d’eau pour signifier qu’il les a tous noyés » c’est drôle et très bien vu.
Plus profondément, le texte est très sensible, on entre avec toi à la Rotonde, on participe à ces moments trouvés (au lieu d’être volés par la vie extérieure) qui t’ont amenée à cette vie « d’autrice »
Ecrire la vie des autres fait aussi écho, dans un autre contexte, à l’auteur en bibliothèque de Laurent Stratos.
Merci à vous six pour vos commentaires de prolongement de ma réflexion sur cette notion ou plutôt de cet état d’auteur.e. Il y aurait pas mal de choses à rajouter pour éclaircir les points de vue de chacun.e. J’aime bien l’idée de ne pas savoir ce qui va s’écrire, le comment importe peu, puisque je revendique la possibilité de transformer la matère écriture à la manière de la peinture et de la sculpture. Le changement d’apparence ou de composition me semble être le principe actif et même la seule raison valable pour continuer à écrire. La question des « autres », de « l’histoire des autres » demande un aménagement particulier du dispositif narratif et introduit invariablement (pour moi) la question éthique.J’y suis profondément sensible et attachée. Bidouiller dans l’histoire des autres est toujours un risque à mesurer, s’approprier des histoires et des descriptions à l’insu des gens ne va pas de soi pour moi. Mais je sais aussi que nous parlons de nous quand nous parlons des autres, alors on peut transformer certaines choses pour les anonymiser et en adoucir les aspects « rauques »…and « rôles » tirés plus ou moins de force de la dite Comédie Humaine ( une appellation qui sonne un peu péjoratif dans mon oreille).
je laisse donc en suspens
et j’attends la suite…
Le suspens est tout aussi présent pour moi Françoise. Dans cette brocante mémorielle tout est à dépoussiérer , tout est à recycler et le plus « stimulant »,
pour employer le terme édulcoré d’Ugo au dernier zoom, c’est de laisser l’écriture parcheminer l’écran blanc. Merci de ton « attente ». Je vais faire comme
notre Brigitte C., te dire que je ne serais peut-être pas à la hauteur de cette attente. C’est bien aussi de ne pas trop écrire dans la promesse.