On appellera ça littérature géographique, cartographique, cadastrale — une littérature qui se penche sur le sol, l’observe, le retourne, et n’oublie rien de ce qu’elle constate en chemin — écriture du terrain sans doute proche de celle que composent les cartographes de l’IGN — littérature des toponymes, aussi : villages, bourgs, hameaux, lieux-dits et villes, loin, très loin, hors-cadre presque. Une fois cette masse de données posée, consignée, il n’y a plus qu’à se pencher sur le commerce des hommes, sur leurs déboires, leurs pauvres bonheurs, leurs secrets et leurs désillusions — sentiments et mouvements du cœur que le terrain conditionne — est-ce que ce qui déroule ici pourrait se dérouler à l’identique dans un autre département et dans une réalité géologique différente ? Les histoires et les mystères de Sirancy, de la rue du Pince-Bouc, de l’impasse des Deux-Gros, de l’avenue des Chevaux-de-Luge seraient-ils transplantables ailleurs ? Littérature qui passe du cinémascope au microscope — littérature « en miroir qu’on promène le long d’un chemin » — littérature qui entre dans les appartements pour détailler sur des pages entières les intérieurs, le contenu des tiroirs, les formes que dessinent les tapis élimés, le craquement des parquets sous le poids des habitants. Il y a tout ça ici. Foule de détails, tonnes d’informations, de quoi se noyer ou trouver son bonheur — comme moi — dans un monde où rien n’échappe, où chaque détail compte — un monde matériel parfaitement recensé et qui laisse dans l’ombre ce que traversent, dans l’intimité et le secret, ceux dont il est question dans l’interminable interrogatoire que subit leur homme à tout faire — pauvre majordome que cuisinent ces voix invisibles. Livre lu et relu — seul bouquin policier qu’on peut reprendre parce qu’il y aura toujours, dans ses 480 pages, une ruelle inaperçue, un personnage ignoré, un détail, comme ça, qui émeut — le dernier étant ce carrefour où joliment se croisent la rue des Irlandais, la rue Samuel et la rue Suzanne — territoire fini et infini comme Venise et qu’on aime retrouver tous les deux ou trois ans parce qu’on s’y sent chez-soi, dans une permanence réconfortante, accueilli. En le relisant je repense toujours à ce collègue de la BnF qui avait posé sur mon bureau son vieil exemplaire. « Tu vas me lire ça » et je l’avais lu, dévoré, dans le silence et l’ennui des permanences au Bureau des Microfilms de la salle Ovale, pendant l’été 2013.
« l’ennui des permanences au Bureau des Microfilms de la salle Ovale, pendant l’été 2013. » C’est totalement mystérieux.
Comme ton livre – non reconnu – nous captive ainsi creusé, topographié,
Bonne suite !
J’ai failli choisir celui-là, il m’a paru trop loin de l’illumination enfantine, quelle « exquise histoire » !
JMG
Ahlala j’aurais aimé reconnaître votre livre, quel mystère génial !
oui ce mystère agaçant tellement l’évocation est précise mais je ne lis presque jamais de policier. J’ai fait une recherche à partir des noms de rue, je suis tombée sur « la castration du bouc » (sic), et re-ton texte, tournez manège mais pourquoi pas une deuxième lecture finalement?