Lorsque Marc apparaît, je ne te connais pas. Il faudra que tu me racontes le moment venu, ta première fois, ton premier dialogue avec ce groupe qui allait tant compter.. Il apparaît donc . Ce mot pèse son pesant d’or fondu, d’icône, je le sais bien et c’est pourtant le bon. C’est une fin d’après-midi dans une lumière d’automne, devant les grandes portes ouvragées de mon lycée de jeunes filles, ancien hôtel particulier aussi somptueux qu »incommode . J’y apprends le latin, le grec et d’autres choses encore, comme ce sentiment confus que les autres sont bien plus belles, que je n’aurai jamais leur élégance, leur légèreté. Marc apparaît. Bien des années plus tard je le reconnaîtrai dans un film de Wenders, où des anges affairés survolent Berlin, vêtus de pardessus couleur de vrai ciel . Marc porte une de ces défroques, une chose trop grande achetée dans un surplus. Il me tend un tract et il parle. Je m’arrête. D’autres pressent le pas, rient, poursuivent entre elles, au grand jour, ces conversations que les adultes ne doivent pas entendre, jeunes corps déliés, libérés de la blouse marquée à notre nom au point lancé. En arrêt il parle et j’écoute. Sans doute est-il question du peuple vietnamien, à moins qu’il n’ait attaqué directement par la révolution et la construction d’un parti. Je n’ai jamais employé ces mots, mais je les reconnais et nous marchons ensemble et je me souviens des noms de Breton, et de celui de Lovecraft comme un cheveu sur la soupe militante. Marc a tout lu et il me parle de Charles Dexter Ward ouvrant sa fenêtre sur un monde brutalement autre. Quand nous arrivons au local, dans une des rues minces lancées comme des branches autour du cours Julien, je ne pense pas aux autres jeunes filles rentrées dans un des logements cossus du centre ville, ni à celles qui déjà ont rejoint un amoureux. J’entre. On parle ici et on écrit. Le mot camarade circule. Quelque chose a commencé.