il au surgissement de ses dernières fenêtres demande l’heure quelle heure est-il six heures moins vingt le soleil commence à décliner les derniers rayons de soleil s’accrochent à la colline il est assis devant la fenêtre il serre sa tête entre ses mains son état l’accable une perfusion le gêne il serre le poing gauche l’alliance flotte il desserre le poing il a été opéré l’opération s’est bien passée il n’a pas faim il veut rentrer chez lui en attendant il escaladerait bien cette fenêtre de nuit personne ne verrait son ombre épinglée par les rayons de lune comment sait-il qu’il a glissé dans un étirement élastique du temps dont il a perdu les repères c’est le jour c’est la nuit c’est l’heure de manger il est dans une parenthèse suspendue de l’espace et moi je vais où c’est où la maison et ma chambre elle est où deviennent les questions récurrentes qu’il se pose hors de tout quand arrive le soir à sa fenêtre ce flottement entre deux mondes tangibles cette ligne de partage entre le jour et la nuit les vivants et les morts entre chien et loup il est ce corps qu’il ne reconnait plus suspendu au-dessus du vide dans un temps suspensif entre le moment où le levier encore bandé au-dessus de la proie encore libre la fuite encore possible s’abaisse tchac le couperet tombe immobilise un être au mouvement déjà ralenti quand les bruits de la rue n’entrent plus qu’effacés le soir depuis un extérieur lointain ce silence assourdissant marque un temps d’arrêt démesuré pour l’esprit en suspension qui s’agite le soir la nuit c’est long demain c’est quand les jours n’ont plus d’importance à regarder dehors les pieds chaussés de pantoufles une fissure court sur la vitre ses yeux s’animent et s’éclaircissent il voit un bateau sur le carreau c’est une jonque des rizières à perte de vue de l’eau jusqu’à la taille et les sangsues dans le cou il faut cependant avancer déjouer les pièges de l’ennemi la progression est lente et difficile dans ce milieu hostile qu’il ne connait pas il suit du doigt la cassure du verre sur la vitre là où une femme prépare le riz quotidien elle est belle elle est jeune des coups de feu au loin devant lui un canard prend son envol il sursaute tire donne le volatile à la femme qui s’incline sans lever les yeux devant l’homme blanc qui marque un temps d’arrêt imperceptible et passe son chemin ignorant à ce moment précis que le geste de cette femme s’imposerait à lui aujourd’hui et à présent il cherche sans le trouver le regard interdit qui n’a pas eu lieu les images glissent furtivement sur la vitre il ne les retient pas elles fuient quand la vue donne à l’est peut-être aperçoit-on les jours de grande lessive céleste le Mont-Blanc surtout en fin de journée quand le sommet alors rehaussé de rose se matérialise en crêtes de dentelle il plonge son regard dans ce tableau qui lui rappelle la longue ascension pendant laquelle des barres rocheuses ouvrent la voie des hommes gravissent sans un mot le pas ralenti par la neige sourcils soulignés de blanc joues givrées d’étoiles ils portent altier le masque immuable du froid imprimé sur leurs visages à moins vingt degrés les armes sont enrayées des arbres sont arrachés ils tirent hors du chemin les troncs et les hommes affaissés dans la touffeur glaciale de l’hiver il frissonne dans sa robe de chambre ferme la fenêtre revient en bordure de mer il avait pris le bateau plutôt que l’avion son barda posé en tas sur le quai d’embarquement au milieu des autres paquetages maintenant il est debout devant la fenêtre fermée son regard se noie dans l’immensité bleue il ne sait plus ce qu’il cherche sur ce petit balcon qu’il ne voit même pas seuls les rails d’un tramway longent la rue et une station de métro au grand nom de bataille permet d’accéder facilement à l’établissement mais lui est venu en taxi médicalisé la façade de l’immeuble n’attirait pas le regard sauf peut-être les lettres jaunes d’un autre temps Café du siècle l’appartement avait un balcon au cinquième étage et deux portes fenêtres symétriques qui éclairaient bien le séjour les volets à claire voie filtraient les lumières de la nuit entre les deux légèrement étouffée par une paire de double rideau une console en peau de galuchat en-dessous d’une pendule à carillon dont le chiffre deux s’était détaché du cadran les aiguilles marquent cinq heures moins le quart la nuit va bientôt tomber le boîtier vert à son poignet n’est pas une montre c’est une alarme mais il a pourtant ce même geste de regarder l’heure soulevant avec délicatesse la manche qui recouvre son poignet gauche et ce geste le satisfait ignorant que d’heure il n’a plus le soleil voilé derrière la vitre c’est la lune qui se couche disque blafard derrière un rideau blanc il n’a qu’à tendre la main pour retenir la crinière effilochée d’un ciel délavé dans son regard vide qui s’abreuve d’images qui peuplent ses nuits illuminées de fantômes et de petits personnages ailés Pégase qui l’entraine au loin revient incessamment le tarabuste l’oblige à se lever à s’approcher de ça qui l’engloutit lui tout entier et ses dernières pensées au surgissement du jour barré d’un grillage
C’est poignant vraiment, très touchée par les souvenirs de fenêtre en fenêtres de cet homme.
Je suis contente, Catherine, que vous surgissiez dans l’une de mes fenêtres, à vous lire, textes et commentaires, depuis le début de l’été. Merci
Merci Cécile Marmonnier d’avoir su offrir à ce personnage en suspension ses fenêtres ultimes. Les scansions par les heures, horloge, soleil, lune, marquent bien l’enchevêtrement de l’existence au temps … et l’essentiel qui se met en série, les images en mouvement, lorsque ça bascule.
un beau grillage