Derrière le souffle arrêté, derrière son silence, de l’autre côté de sa mort, de son corps mort, mon corps. Vivant avec de lui dedans, de lui silencieux, de lui taiseux, dedans mon corps, son silence, et de lui sur mon visage, de lui dans le miroir quand pourtant son corps mort, la morgue, le chat qui passe, les mouchoirs en tissu, l’âne au loin, son corps disparu, l’urne bleue, le cercueil, le silence à la sortie de l’église, son corps sur la chaise, il faut lui couper le poisson, il ne mange pas, il est content qu’on soit là, nos corps, mon corps issu de son corps à lui, mon corps assommé de sport, de chocolat, de tristesse, mon corps le soir sur le tapis, les poids, la corde à sauter, sculpter mon corps quand le sien s’efface, le feu qui bientôt fera de lui, de son corps, un silence plus définitif que ce silence pourtant déjà définitif, et mon corps silencieux, mon corps solitaire, mon corps qu’étreint la peur d’être son corps, son non-corps, mon corps de poignets maigres, de blancheur, de ventre, mon corps qu’immobilise le désir interdit, et sa présence, là, devant mes yeux, son corps robuste, le marteau-piqueur, la fourche, le biceps, son corps fort, mon corps faible, inverser : rendre ce corps, le mien, fort, pendant que le sien, son corps, son silence, meurt. Mon corps, au milieu des silences, s’étonne d’être en vie. Et son corps à elle aussi, elle reste debout, n’ose pas s’asseoir, pas aujourd’hui, un autre jour, son corps à elle remis sans cesse à demain, et mon corps là, son corps là, nos corps, silence, ce n’est un affaire de corps, nous — sa voix parle en silence, son corps se tait, ses yeux essaient de ne pas dire le contraire de ce qu’elle tait — cachez ce nous qu’elle ne saurait tolérer, le silence des corps, la gêne, on ne sait plus où se mettre, on fait parler d’autres corps, des corps faux, des photos, des mises en scène de corps, des poupées, on les frotte, ces corps faux des photos, ces mannequins, à notre corps, à mon corps — j’oublie si souvent qu’il n’y a pas de nous quand il s’agit des corps — et le silence de mon corps après l’illusion, la voix du poète, j’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité, le corps du poète — un nom : Robert Desnos — le corps mort du poète, les camps, la maladie, et à nouveau son silence à lui, le silence du corps mort d’un homme d’où je viens, dont je viens, dont mon corps est la copie, son corps à lui qui donne force par son silence à ce corps mien qui lui survit, ce corps seul prêt à entrer dans l’arène, ces combats silencieux où le corps entre si peu, les combats de la cervelle, les combats de mots dans la tête, les combats des mots qu’on écrit, les mots que je lui écris à elle, des mots qui ne disent que la moitié de ce qu’ils disent, le silence au cœur même des mots quand ils ne sont qu’écrits, son regard à elle, le lendemain des mots écrits, mon corps fuyant, le sien debout, elle ne veut pas s’asseoir, elle n’a pas le temps, c’est la course, et mon corps court, il nage, il marche, il dort à peine, mon corps crie, mais les silences restent les silences.