- Les temps de marches sont tous identiques – il faut vingt minutes pour aller d’un point à autre. Il s’aperçoit de cela : il ne l’avait pas prévu. Pour sillonner les territoires et former le puzzle. Il a fallu préparer l’expédition : des cartes, il a regardé ces cartes très souvent jusqu’à connaitre les itinéraires et pouvoir les faire les yeux fermés. Il a reconstitué le passé de la ville, il est remonté assez loin dans les temps anciens, et plus les temps étaient éloignés plus il trouvait des correspondances.
- La ville ne lui a jamais si proche si intime. C’est : rechercher l’intimité avec cette ville, une intimité particulière : elle l’autoriserait à s’en extraire, à y déambuler, à s’arrêter, à chercher un lieu, un point de vue.
- Il a une pensée de corps à corps avec la ville, pouvoir y contempler y percevoir par les sens, les routes, les anciens monuments, mêmes ceux légèrement hors de la ville.
- Mais que faire de souvenirs : des souvenirs qui parfois remontent à des années en arrière, comment y passer sans que la ville devienne une abstraction faite de mémoire ? Qu’elle reste vivante, parce que c’est encore dans cette palpitation que quelque chose d’encore vivant est manifesté. Vouloir toucher la ville dans son épaisseur, sa vitalité de l’instant, se laisser surprendre par l’apparition de la mer, se laisser intriguer par le passage d’un bateau affrété, sa lente progression sur une route déjà calculée. Mais ces routes ne sont pas dues au hasard, elles sont prescrites – l’intuition de ce monde toujours sillonnés de routes et souvent celles des marchands, ou des navires qui apportent ici de nouveaux voyageurs, les arrivants.
- Les pavés des rues sont de chairs, les murs respirent, le vent transporte et parcourt le territoire comme l’oxygène et les fumées des bateaux exaltent leur gaz carbonique, c’est la respiration de la ville, qui n’étouffe jamais, qui est réglée dans un rythme, un cycle inchangé.
- Les petits groupes se forment, des paroles sont échangées, aujourd’hui encore elles peuvent résonner, transformées mais présentes dans une sorte de prolongement inconscient : les gestes, la main de de la grand-mère dans les cheveux de la petite fille, les embrassades, les commentaires sur tel ou tel évènements de la journée. Curieusement, comme à rebours c’est à ceux-là qu’il pense. Combien embarqueraient.
- Ça arrive comme ça, d’un coup, le gamin tend un papier froissé, peut –être un billet, et il dit « Washington ». Devant il n’y a rien, il tend comme ça le billet.
- Washington, c’est un prénom ? Une ville ? il n’y a plus d’espace autour de lui, il est enfermé là. Ça change d’échelle. Tout à l’heure, c’étaient les espaces de la mer, les dégagements du vent, et une promesse. Le lieu s’est refermé très vite et maintenant, il sort de nulle part – il est là juste devant tournant le dos à la mer, juste un point et l’Amérique.
- Ceci pourrait se transformer en lettre, voilà ce qu’il y a sur la page, cela commence par du papier froissé. Il faut patiemment défroisser ce papier, et comme on lit dans le marre de café, déchiffrer le sens des lignes, qu’ont formés les plis. Ce sont les premiers indices de la reconstitution. Une reconstitution presque organique, celle d’un chirurgien recousant des tissus déchirés. La notion de douleur mais aussi d’apaisement.
- Une passerelle, et un pas vif, l’homme marque une légère pause au milieu de la passerelle, il regarde quelque chose en bas et reprend la marche.
- Réfléchir d’abord à l’itinéraire : ce chemin, il l’ a fait 100 fois, c’est le trajet habituel, mais aujourd’hui, pourquoi changer de trajet : dans quelle humeur est-il, c’est une bouffée de souvenirs qui remonte d’un coup, les pique-niques en bord de mer, les arrêts pipi sur le trajet vers cette crique le dimanche, les enfants dans les couffins, les enfants qui hurlent en voyant la mer, les blagues, les parties de cache-cache, les barbecues dressés sur la plage, …envie de repasser par ces lignes, retarder un peu le départ, fumer une cigarette, flâner… Il part plus tard que d’habitude. Dehors il règne encore cette odeur de poudre et la rue déserte en bas garde le bruits des pas, des courses affolées de la veille, des cris, des hurlements des sirènes, des tirs de gaz lacrymogène.
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beaucoup aimé ce passage : « Vouloir toucher la ville dans son épaisseur, sa vitalité de l’instant » et la suite…
quelques fragments résonnent pour moi avec la proposition #5
toujours des images profondes avec quelque chose de singulier…
merci Isabelle
Françoise, c’est important pour moi, la lecture que tu fais. Ça me donne de l’énergie! Merci!