Je lui ai envoyé mes textes il y a longtemps lors d’ateliers, puis plus de nouvelles. J’espérais qu’elle me contacte, me réponde et puis aujourd’hui par message elle me donne rendez-vous au Centre Culturel. Fébrile je me prépare à la rejoindre par l’escalier raide et désert jusque cette salle communale de cours, blanche et froide au mobilier succinct et vieillot. Un radiateur tiède ne réchauffe pas la pièce en cette journée de froid sibérien. Elle est déjà installée, son thermos de café et deux gobelets en plastique blanc. Je ne bois jamais de café…
Je m’attendais à un discours semblable à celui de l’enseignant à ses élèves, pourtant une impression de chaleur se dégage des premières paroles. Des salutations d’usage bienveillantes. Après quelques remarques banales sur la météo, nous y voilà…
Elle – dis-moi, éclaire ma lanterne, tu étais en Inde dans le désert, là-haut dans le Rajasthan ?
Moi – non dans le désert c’était avant, en 2003, après mes traitements et durant une canicule par cinquante degrés à l’ombre enfin à l’ombre de nos tentes berbères autrement dit nous étions incapables de lire, de lever le petit doigt, certains ont tenté les cartes mais ça collait trop.
Elle – Mais l’Inde alors c’était quand ?
Moi – En 2012. La première expérience laisse une trace moins lacunaire que les suivantes. La cure ayurvédique dans un hôpital kéralais ne s’oublie pas. Le massage à 4 mains à l’huile de sésame sur la planche en bois, un vrai numéro d’équilibriste quand est venu le moment de se relever pour retrouver le plancher, c’est risqué ; suivi pour se dégraisser de la douche avec le seau d’eau chaude puis s’essuyer avec un linge lavé à l’eau froide, ça étonne et ça n’essuie rien.
Elle – mais vous avez continué ?
Moi – Nous avons continué huit jours avant de se démonter une épaule et le bas du dos.
Elle – donc le désert c’était où ?
Moi – En Mauritanie, à la place du sud de l’Algérie qui craignait trop à cause des enlèvements. Là nous avons vécu l’accident du melon et frôlé le drame.
Elle –Quelqu’un a mangé un melon empoisonné ?
Moi : Non, pour jouer un ami a lancé un melon pourri et mon fils a cru devoir l’éviter, il est tombé en contrebas d’un rocher sur le dos… galère pour marcher les jours qui nous restaient, impossible pour lui de faire du dromadaire. Alors retour au bercail après quelques jours de marche et une tempête de sable à nous enterrer tous.
Elle – Et il me semble que tu m’as dit être allée en Chine faire un stage de Tai Chi ?
Moi – Oui la Chine en 1989, Tien an men et les voitures de police qui sillonnaient les rue en fin de journée, nous étions les seuls touristes du quartier, là j’ai plutôt fait un stage de vélo au milieu de 8 millions de cyclistes, alors que je n’étais pas monté sur un vélo depuis toujours. Je me demande si j’ai préféré les prières du muezzin à Sanaa en 1997, à cinq heures du matin quand je commençais enfin à somnoler dans un bourdonnement de moteurs, et trouver des boules Quies au Yémen, un vrai sketch…
Elle – Les voyages m’ont toujours fait peur, mais là tu me donnes envie.
Moi – Tu as bien raison d’avoir peur car il n’y a pas de voyage sans imprévus et d’ailleurs je ne suis pas convaincue d’aimer voyager. Je devrais me poser la question de savoir pourquoi je m’entête à quitter ce que j’affectionne par-dessus tout : ma famille et mon royaume. C’est ça, j’ai attendu de vieillir pour oser quitter mes repères… ronger la laisse qui me retenait à la niche.
Elle – Tu veux dire que tu t’accordes des libertés ?
Moi – Je dirais que je me sens plus libre tout simplement, la famille a moins besoin de nous physiquement.
Elle – Tu as surtout voyagé au chaud
Moi – Là je t’arrête, je ne suis bien que par trente degrés, dedans et dehors, sûr que je suis loin des 19 degrés préconisés en ces temps d’économie…
Elle – Donc le nord ?
Moi – En bas il y a du froid aussi, mais là je t’en parlerai une autre fois, il faut bien nous laisser encore matière à causer.
Nous avons décidé que je continuerai à lui envoyer mes récits, je crois que cela nous fera du bien à toutes les deux. Peut-être lui donnerai-je le goût de l’aventure ? Et prendrai-je conscience du chemin parcouru non pas en kilomètres mais en vagabondages…