## Double voyage # 06 Les Lares et les Pénates

Ariel (Extrait)

Dans une maison, il n’est pas dit que les Lares soient toujours avec les Lares et les Pénates avec les Pénates : ils se fréquentent , se promènent ensemble sur les corniches de stuc et les tuyaux des radiateurs, commentent les affaires de famille, ils se disputent facilement,mais ils peuvent aussi bien être d’accord pendant des années; à les voir tous en rang on ne saurait distinguer qui appartient à une espèce et qui à l’autre. Les Lares ont vu passer dans leurs murs les Pénates aux origines et aux habitudes les plus variées; les Pénates doivent se faire une place au coude à coude avec les Lares des illustres palais déchus, pleins de dignité, ou avec des Lares des bidonvilles, susceptibles et méfiants.

ITALO CALVINO , Les villes invisibles, Gallimard, 2019

Bibliothèque de Montagne

Ce sera plus difficile que tu ne l’imaginais. Parler, nommer des villes que tu n’as pas visitées, que tu ne visiteras pas , que tu n’as même pas envie d’inventer, va te pousser dans tes retranchements. Parler de villes que tu as visitées et où tu n’as pas vécu plus que quelques jours ou quelques semaines te semble usurpatoire.Tout tourisme te semble intrusif et voué à la prédation ou à la frustration. On se moque toujours un peu de qui ne nous ressemble pas. De l’accent, de la façon de vivre. Les efforts de diplomatie, d’intégration sont tous intéressés. On veut prendre la place de l’autre, l’avoir à la bonne,assimiler voire faire disparaître sa langue, ses moeurs pour troquer les siennes. Ne me dis pas qu’en ce moment même, ça ne se passe pas comme cela, des guerres et des destructions interminables en découlent et personne pour dire STOP ! On compte à peine les morts, les tombes, les bâtisses écrabouillées, on fait du google earth au dessus des gravats… Les cris et les supplications n’atteignent aucune oreille. Le monde est sourd, aveugle, féroce et brutal. Le monde survivant se terre et attend que ça se tasse ou que ça empire. Pourvu que ça ne nous retombe pas sur le paletot. Oeil pour oeil, dent pour dent… On a rien demandé. On nous abreuve d’images et d’alertes. Et tu te prends à rêver de cette bibliothèque pacifique de montagne, comme figée dans le temps, au sein d’une auberge alpine perchée au milieu des vaches, isolée l’hiver par la neige. Tu l’as connue hors-saison lors d’une visite familiale.Tu n’as pas eu le temps de lire la tranche de tous les livres, ni de les ouvrir, vous étiez venu.e.s pour manger… Alors tu l’as photographiée. La décrire ne t’aurait rien appris sur les hôtes du chalet. Ils n’avaient pas le temps d’expliquer pourquoi ces livres étaient là et le choix. Peut-être n’était-ce qu’un vide-grenier… Que veut-on montrer de soi en mettant à disposition des livres que l’on n’a peut-être jamais lus et que les gens ne touchent pas ?

Epitaphe de Montagne

Nous voyagions depuis longtemps | Nos pieds étaient presque arrivés | A cette fourche étrange sur la Route de l’Être | Lieu-Dit – L’éternité – ||| Notre allure soudain se fit craintive | Nos pas – timides -hésitants – | Devant – des Villes – Mais Entre elles et nous – La forêt des Morts [..

eMILY DICKINSON

Les couchers de soleil, les levers de lune, l’herbe drue, l’herbe tendre, les arbres tutélaires, les rivières en crue, les fleuves intrépides et sales , les ruisseaux saisonniers , les oiseaux migrateurs ou confinés, les animaux sauvages ou de compagnie,les sites et les monuments remarquables, il y en a partout à regarder et à protéger. Mais tu sais que préserver, n’est pas la première préoccupation du genre humain. Les grands voyageurs et voyageuses sont insatiables, même s’ils finissent toujours par revenir à des endroits où quelque chose leur parle intimement. Quelque chose de l’enfance souvent.Le voyage est une obssession pour certains êtres, une manière de déplacer le regard et le coeur pour ne pas s’ennuyer de la vie ou la rendre plus palpitante.D’autres préfèrent rester là où ils vivent et cultiver leur goût pour les trajets familiers,ritualisés, rejoindre ses Pénates, chaque soir et laisser les Lares errer de maison en maison autour sans déranger personne. De temps en temps des fêtes et des regroupements; plus rarement des éloignements de brève durée. La vie collective en ville est plus difficile. Les territoires sont plus frictionnels et conflictuels. Mais la ville fait aussi semblant d’être paisible sauf dans les faits divers sur le journal. Questions d’Espace Vital…

LE SIGNE INFINI

Entre deux villes une sculpture en acier au bord de l’autoroute prend un élan qui la fige.en signe inFini de Marta Pan. Elle symbolise bien plus que ce dont elle témoigne sur cette image mouillée. Pourquoi se trouve-t-elle là et pourquoi elle aura autant marqué tes trajets pendant plusieurs mois ? Tu pourrais raconter, bien sûr, mais tu ne raconteras pas,car tu l’as peut-être déjà fait sans que ça éveille d’intérêt de la part de qui tu ne sais même pas, et qui pourrait être lu sur l’écran ou dans tes carnets si tu les amplifiais ou les partageais.Italo Calvino ne t’est d’aucun secours pour te donner envie de creuser le puits dont tu connais l’emplacement. C’est dejà çà ! Le reste n’est qu’anecdotique. Or l’écriture , c’est du sang à soi.

Un trou de verdure et ses haiillons

 » ( il n’y a que les humains pour continuer à couver un être disparu.) »

« L’oeuf peut-être considéré comme une matière céleste. Il ne dit jamais merci. »

claire boitel, objets de la demoiselle

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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