##le_double_voyage | #02_arrivée_dans_la-ville

La confusion dure quelques jours accompagnée de la déception qui la secoue car parvenir à Quetta par la ville nouvelle laisse l'imagination brutalement sur sa faim. Ce n'est guère qu'un ramassis de bicoques plus ou moins délabrées, une sorte de trou perdu à l'issue du désert que l'on vient péniblement de traverser après de multiples ensablements Ici règne une agitation fébrile, un tumulte incessant constitué par les voix hystériques des femmes hurlant dans des haut-parleurs, aux façades des baraques; une Babel musicale; car bien sûr aucune ne semble chanter la même chanson. Si l'on ajoute à la clameur la pétarade des pots d'échappement des rickshaw, des bus, des 4x4, et autres pickup, les coups de klaxons, les salutations interminables que les habitants ici semblent prolonger à l'infini comme des incantations,  on peut se faire une idée assez juste de cette première partie de la ville tout du moins sur le plan sonore. Cependant si l'on comprend que cette monstruosité n'est que la façade offerte aux touristes pour dissimuler une toute autre ville, qui se situe à peine à quelques centaines de mètres de là, l'imagination retrouve alors toute sa vigueur comme une plante assoiffée à qui l'on vient de faire le don de l'eau. La Quetta d'origine, la vraie ville, est bien plus silencieuse, alors qu' il y règne presque autant d'agitation mais chose étonnante le bruit de celle-ci parvient à l'oreille du voyageur comme amortie, atténuée tout à coup. Ou remplacée par les parfums que ses narines soudain dilatées y découvrent. Ainsi donc on peut dire que la ville est double comme est double la sensation qui subsistera dans la mémoire de tout voyageur digne de ce nom lorsqu'il la pénétrera, et ce quelque soit sa science à pénétrer les villes. 

1.

La première fois où l’on arrive quelque part, imprime peut-être dans l’esprit du voyageur et ce alors alors qu’il n’est encore qu’un enfant , un schéma, un genre de programme qui se répètera ensuite inconsciemment de lieu en lieu. Car tout bien pesé l’arrivée à Quetta ne fut guère différente de celle de Venise, de Belgrade, d’Istanbul, d’Erzurum , de Téhéran, et des dizaines d’autres encore – et si tu continues ainsi à réexaminer tous ces lieux dans lesquels tu parvins tout au long de tes voyages, tu retrouveras aisément la même sensation de confusion, ce point commun qui les relie tous. Aussi, n’es- tu pas étonné de découvrir Quetta de la même façon, lorsque une fois le désert du Baluchistan traversé, tu arrives au coucher du soleil à la gare routière de la ville nouvelle. La nuit tombe rapidement dans ces pays lointains, autour de 17h30, 18h, c’est sans doute ce qui te marque le plus en les découvrant. Le bus sort du désert et, en plissant les yeux, on aperçoit à peine les premières maisons, les toutes premières bâtisses que déjà c’est avant tout la redécouverte du crépuscule; la poussière nimbe le décor d’une aura chaude, des tons bistres et orangés tirant vers le roux; à l’horizon barré de montagnes une noirceur s’amoncelle; et, élément étonnant, ces petits buissons, comme ceux que l’on voit dans les western, roulent devant le véhicule. Enfin lorsque tout enfin semble s’immobiliser, que le bus lâche un dernier souffle, un dernier crissement des freins, que le moteur s’éteint , on croit que ca va être dans un silence que le pied va se poser le sol sableux, mais non, on entend le vent qui mugit, et soudain en tendant encore un peu plus l’oreille cette surprise de découvrir se mêlant aux bourrasques, des voix de femmes qui chantent. Les passagers s’éparpillent et finissent par disparaître, tu te retrouves seul face à la grande place où sont rangés d’autres bus, ces vaisseaux insolites aux parois toutes martelées, bosselées, sculptées, décorées, les derniers raies de lumière animent leurs motifs, on dirait des êtres vivants, des animaux extraordinaires qui se sont rassemblés là pour ensemble passer la nuit. Alors naît le désir d’un refuge, d’un toit pour se sentir en sécurité, d’un lit pour s’étendre et se recroqueviller dans la solitude durant cette première nuit à passer dans une ville étrangère. Trouver un hôtel devient une priorité qui pousse l’attention uniquement vers ce but précis au détriment de tous les autres. Le voyageur plisse les yeux en quête d’un signe, une enseigne, mais ici tout est indiqué dans une langue étrange, chaque mot est un dessin et chaque groupe de mots un rébus à déchiffrer..

2.


Il n’y a pas d’indication pour parvenir à Sonora, et son homonymie avec des villes existantes laisse le voyageur dans une indécision qui peut durer longtemps, parfois même des années. Aucune carte n’en fait mention, aucune image satellite ne permet de l’explorer assit derrière un écran. Les Google cars seraient dit-on- déroutées presque tout de suite vers d’autres villes du même nom sitôt qu’elles auraient comme mission de la photographier. Le voyageur qui voudrait se rendre à Sonora ne peut compter sur les méthodes habituelles, les atlas géographiques, voire les récits d’autres voyageurs qui l’auraient visitée, car nulle preuve indiscutable ne subsiste pour s’appuyer sur le fait que cette ville ait un jour réellement existé, qu’elle existe toujours. Cependant qu’elle demeure à l’instar des légendes, comme un récit que s’échangent les voyageurs quand vient la nuit et qu’ils cherchent à se réunir dans l’espoir de trouver un peu de chaleur humaine. Encore que ces récits sont peu fiables; et l’art de mentir, d’inventer des villes, de vouloir se distinguer les uns par rapport aux autres, incurable tare de nombreux voyageurs, s’il ne nuit pas à la réputation légendaire de Sonora ne saurait en aucun cas en rendre compte fidèlement. Aussi je ne peux fournir que ma propre version de ma visite à Sonora, qui ne sera pas plus fiable que toutes les autres. C’est simplement la mienne telle que je crois l’avoir vécue et voilà tout. En tant que voyageur rompu au voyages je me suis souvent rendu compte que la ligne droite n’était jamais le meilleur moyen de se rendre d’un point à un autre, qu’il valait bien mieux oublier celle-ci et faire confiance aux oiseaux, aux vents, aux mille signes que l’environnement produit sur soi pour trouver son chemin, souvent semblable à une spirale, celle du jeu de l’oie par exemple. L’errance et la sensation de tourner en rond, bien qu’assez désagréables pour la plupart des voyageurs débutants, souvent bien trop pressés de parvenir à leurs destinations, finissent par devenir des alliés de confiance. Aussi, c’est après avoir voyagé ainsi, à pied, à cheval, en prenant de nombreux autobus, des trains, et mêmes parfois des aéroplanes que le hasard de la route me déposa à l’orée de cette ville à la tombée de la nuit. Bien qu’il fasse presque noir complètement lorsque je j’arrivais, je sentis que je parvenais enfin au terme d’une longue traversée (essentiellement constituée d’immenses étendues désertiques) Une fragrance provenant de la végétation qui entoure la ville m’indiqua sa présence presque immédiatement. Bien que je ne puisse rien voir de celle-ci, j’en éprouvai déjà jusqu’au fond du cœur une joie étrange, comme lorsqu’on retrouve un vieil ami au détour d’une rue. Chose étonnante, car de mémoire je n’avais jamais mis un pied dans Sonora. L’odeur qui me monta au nez remua des souvenirs enfouis si profondément que je me mis à repenser à ces contes à dormir debout dans lesquels il est question de vies antérieures et de souvenirs qui s’obstinent à vouloir transiter d’une vie l’autre dans le périple de l’âme et toutes ses réincarnations. Cependant que je réfléchissais je marchais d’un pas assuré vers le point où je sentais battre le pouls de la ville. Ce fut d’ailleurs à cet instant précis où j’affermissais mon pas, que j’aperçus les premières silhouettes des habitants qui, chose encore plus étonnante, semblaient venir à ma rencontre comme s’ils me connaissaient.

A propos de Patrick B.

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