Césarée ? Césarée ? Ah ce château avec une princesse enfermée ? Oui, si on veut. Pas une princesse, une reine. Elle a eu du bonheur, elle a été aimée, adorée et là, elle regarde la jetée où elle a été débarquée quand son amour de Titus l’a répudiée et fait ramener ici. Une route nord sud assommée de voitures, un golf, rivage d’un pays à la dérive, c’est ce qui reste de son rêve, elle préfère regarder vers l’ouest, mer de fantasmes à venir — ou pas.
Attends, ce n’est pas de cela que je te parle. Ma princesse à moi, elle regarde la mer aussi de son donjon, aussi vers l’ouest, éloignée de son amour aussi pour de vagues raisons d’état. Elles se ressemblent ces deux là mais celle-ci n’est pas reine et ne le sera jamais, exilée de son prince Louis le quatorzième en son donjon de Brouage. La mer a perdu du terrain, une dizaine de kilomètres dans les terres, une muraille que les vagues mourantes venaient caresser. Au lointain de Samuel Champlain, les rues de Québec, de Montréal, voyage par procuration..
Autre route, autre temps, un peu avant Alger — de là-haut je vois loin mais je ne sais pas où on est — avant Alger donc, sur le pont ils se sont mis à parler d’une femme, une française qui était une petite ouvrière et qui est devenue princesse là, très au sud presque dans le désert. Elle a construit une école pour les filles de la région, un palais entouré d’un immense jardin où elle fait pousser des roses. Aurélie Picard, Lalla Yamina, Aurélie Tidjani. Dans ces grands espaces, elle fait du cheval, Aurélie, rien à voir avec les lourds chevaux de chez nous : fins, rapides, musclés.
Laghouat Césarée Bérénice Brouage Alger Aden Québec Montréal Lalla Bonne Espérance Titus Aurélie Louis Marie Mazarin. Je galope dans le désert et sous les murailles de ces princesses maritimes, les salue, elles m’invitent dans leur palais, je suis leur chevalier servant.
Non, en fait ce dont je voulais te parler c’est de la fois où j’ai rencontré Jean Luc Godard, l’ami Bill H. était à Paris et Bill, va savoir comment, il connaît le monde entier. Si, je sais comment : il voyage beaucoup et partout, là il a 91 ans et il s’embarque sur un cargo pour traverser le Pacifique et à Papeete, il va parler à tout le monde, les riches les pauvres les beaux les laids, il s’en fiche Bill pour lui c’est l’occasion de dire des mots en français, thaï, anglais espagnol. Bref, il connaissait un acteur qui jouait à l’Atelier et y’avait aussi dans la pièce cet acteur, tu sais, si beau qui jouait dans un film de Pasolini, là, il jouait l’archevêque de Canterbury ou quelque chose comme ça, c’est lui que JLG venait voir et on a attendu ensemble que les acteurs se démaquillent, retombent sur terre, sortent de leurs loges. Bill ça le faisait rire que je sois si ému d’être là. Godard c’est venu cet après midi à Belleville, un visage. Je n’étais pas allé à Belleville depuis longtemps on y allait manger du couscous, les Lumières de Belleville ça s’appelait, on y croisait les Rita Mitsouko, ils étaient deux et encore pour longtemps. Ça n’a pas trop changé, Les Lumières, Charlot n’existent plus c’est sans importance. Le bel acteur c’était Laurent Terzieff et Belleville, tu croises pas que des princesses mais c’est un beau voyage.
Halte sur cosmoroute
Et je suis là, lisant la vie de Rachid H. toujours étonné de la diversité de nos trajets de vies et de leur imagination. C’est Chambéry le mot qui a tout déclenché, le stage cet été, les quatre sans cul, sons de loin. Le voyage à Chambéry, halte sur la route d’Italie. Plus loin Florence, les Israéliennes, vous êtes vivantes mesdames dans quel coin du monde l’Arno cosí fan tutte ponte vecchio borgo san Lorenzo Carlone tu es mort Claude, revenir vite un aller retour à toute vitesse, la soirée chez lui à deux pas de l’Arno qui, je ne sais plus, je n’ai jamais su, la nuit là seul. C’était peut-être cette fois-là la panne d’essence, la R5 verte dans le long tunnel entre les deux pays, sous terre entre deux vies entre deux vides entre deux riens plutôt, oh quel confort, il y avait encore une frontière et au retour re-halte à Chambéry tant de pleurs, de regrets, la nuit sur le sol devant la lucarne micassée du poêle, c’est fini, sur l’autoroute tu proposes de dormir avant Paris, avais-tu peur de rentrer dans la ville, de le retrouver, de sceller cette décision de rupture et moi qui ne voulais pas te rassurer tu avais décidé c’était fini, retour vers C. toi qui es morte aussi. Rachid H. je n’envie pas votre peine, je n’envie pas votre douleur, je pense à votre puissance de vous dire comme ça, de raconter ce qui vous a fait. Le 5 février 2023, je recolle des bouts de souvenirs de ce que j’aurais pu raconter, de ce que je ne voulais à aucun prix trouver il y a plus de quarante ans.. L’imaginez vous votre trajet, savez vous ce que vous cherchez à films-tâtons ? Moi, je ne suis pas certain de vouloir connaitre la dernière étape avant la fin de l’autoroute.
Approche de la ville
L’endroit s’appelle Césarée. C’est à gauche de la route, plein ouest la mer, il imagine les ruines d’un palais de pierres brunes, d’un embarcadère d’où serait partie jeune, amoureuse et où serait revenue répudiée la reine des juifs, dans un mois, dans un an, comment souffrirons nous, seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? Quelques panneaux publicitaires, un terrain de golf, la route continue vers le nord qui longe la mer. Elle conduit, elle parle de sa voix si puissante pour ce frêle corps, nous y serons bientôt, Reposons nous sur cette terre car la mort est un long voyage elle rit de ce souvenir de chanson dans une langue qui n’est pas la sienne. La route quitte la mer rejoint celle de l’intérieur et, très vite, à droite, une haie, un bois presque de cyprès derrière un mur. L’entrée est à droite, le temps soudain va moins vite, ils sont ici pour retrouver שמואל גלסברג un homme mort au loin qui a voulu faire ce long voyage ici. Le vent de la mer, la voix du gardien qui lui parle à elle dans une langue que je devine antique, un doigt pointé, une longue marche dans cette allée où le bleu du ciel prend toute la place, une pierre, une photo, quelques mots murmurés. Et nous contournerons la ville direction Akko.
La nuit d’avant
Il y avait eu la nuit à Arzew, retrouvailles incroyables, celle dans l’ancien cimetière de T. transformé en camping des gens sympas prêts à rire de tout, celle dans la grande maison au bord de la mer ça se présentait plutôt bien. Le berger rentrait son troupeau le soleil tombant quand nous lui avons dit — nous ne parlions pas la même langue nous l’avions compris de nos gestes — que cette nuit, nous voulions dormir dans l’acadiane il nous a pris pour des fous il allait faire si froid et on s’est souvenu que Camus dans une nouvelle raconte que la nuit dans le désert les pierres éclatent de tant de froid. Il nous a invités dans sa petite maison elle aurait bien voulu mais lui non cette nuit nous serons seuls Regarder la nuit tomber sur le haut plateau le froid envahir le paysage froid froid. Ils auraient pu aller jusqu’à la ville on leur avait dit que la prison parfois hébergeait des voyageurs mais expliquer ce qu’ils faisaient là entre plateau glacé et nuages courant dans le ciel clair tu nous vois dans une cellule après les tombes de T. Le soleil monte en dix minutes il fait chaud ce soir G. demain le désert
Du donjon du château froid je regarde le soleil tomber la mer loin plissant les yeux je vois —trop loin, j’imagine la muraille protectrice limite d’empire tant au nord je partirai tôt nous embarquerons dans la tiédeur opaque de la brume atlantique suivrons nord ouest les cris râpeux des sternes et les bruissements des dauphins qui nous emmèneront où d’hypothétiques barbares tentent de s’emparer du castrum. Marie reste ici prisonnière punie de son amour dans ce château construit pour elle au bout du marais nous partirons après le diner près de la grande cheminée servi par ses chambellans et la nuit dans le grand lit baldaquiné solitaire. Imaginer nuit noire l’enfermement derrière le mur ici face à l’espace sans limite prison presque pire t’enfuir Marie tu ne comprends rien comprends tu même que de ta prison triste un roi rêve au loin.
J’ aime beaucoup ces récites en miroir étrange . Merci
Merci Laurent.
l’Acadiane ! m’a rappelé une nuit dans un col alpin. Mon frère qui dormait sous la tente s’était relevé pour m’interdire de laisser le moteur allumé, je ne savais pas.
Il faisait pas chaud (ou trop chaud) là dedans. Mais c’était bien pour rouler dans le sable avec les pneus légèrement dégonflés.
on ressent le froid et la beauté
cette nuit d’avant au fond tu n’en dis pas grand chose mais tu dessines déjà un cadre fragile au récit qui nous attend, cette traversée du désert…
Merci Françoise. Traversée du désert ou d’autre territoire, on va voir où ça va aller.
Une ambiance chargée d’émotions, d’images qui se déroule comme un parchemin pour dans le deuxième texte m’évoquer l’époque médiévale… Et bien voilà j’ai beaucoup aimé. Merci Bernard
Merci Marie. C’est vrai qu’il y a une autre Marie dans cette histoire imaginaire, Marie Mancini dans son donjon.
m’incline devant les princesses (mais elles ne me voient pas… regardent au dessus 🙂 portées par la poésie)
Merci de votre passage, Brigitte. Princesses certes mais pas très libres, regardent-elles de haut ?