Je ne sais ce qui m’a poussé, entre deux rendez-vous, à entrer dans la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre en ce jour de septembre. La curiosité? la flemmardise de me rendre à mon rendez-vous? Le ciel en jugera. Pourquoi aujourd’hui alors que je passe souvent aux abords de cet édifice sans vraiment y prêter attention, parisien blasé, habitué à fuir les lieux touristiques trop fréquentés, au profit d’endroits plus calmes et plus authentiques? Je crois bien n’y être jamais entré auparavant…Quelle hérésie! En tout cas, peu de monde se presse aux portes de la basilique sur lesquelles sont apposées des affiches annonçant les messes quotidiennes ou intimant le silence durant les offices. Un prêtre marmonne une homélie, face à des fidèles clairsemés, écoutant religieusement les recommandations divines…enfin je crois. Pour les autres, ceux qui ne prient pas et qui n’ont rien à avouer à des sacristains recevant sur rendez-vous, mais prêts à les écouter dans des confessionnaux judicieusement placés le long du déambulatoire, un carrousel contournant la nef et le choeur leur est proposé, avec des passages obligés devant la quinzaine de chapelles, que compte l’édifice. On peut y admirer diverses statues et autres icônes religieuses, certaines plus connues que les Rolling Stones, comme celle du pape Jean Paul Deux. Avant de sortir, on est priés d’entrer dans une boutique de souvenirs pour y faire des emplettes destinées aux bonnes oeuvres de l’Eglise. Les cartes bleue y sont acceptées. Même Dieu s’est équipé de terminaux de paiement sans contact. Je passe outre. Au moment de quitter la basilique, je les ai vues…du moins j’ai d’abord aperçu la lumière diaphane éclairant une main tenant un téléphone portable. Dans le renfoncement d’un pilier, assise à l’écart des fidèles, abritée sous un large chapeau couvrant des cheveux bouclés bruns qui lui ceignent la gorge, elle est là, regard tendu vers le fond, visant de son portable, le fond du choeur de la basilique, en prenant soin d’aligner des colonnes selon la règle des tiers, censés reproduire les proportions de la divine harmonie. A sa droite, une autre main dans la pénombre, vise aussi de son portable, le fond de la basilique. Je ne vois que la main, le reste du corps est dissimulé à ma vue. Est-ce un homme ou une femme? Je le saurai si je patiente un peu mais on m’attend à l’extérieur. L’une des mains tient son téléphone verticalement tandis que la seconde photographie avec l’écran horizontal. Question de sensibilité pour un même point de vue. Mais les images sont différentes. L’une paraît bleutée tandis que l’autre montre une sorte d’ectoplasme saisi au vol. Sainte apparition? Après tout l’endroit fourmille de célébrités religieuses. Ou bien s’agit-il d’esprits paiens ou de fantômes d’un passé sanglant, aux innombrables victimes anonymes réclamant justice ou réconfort, dont cette église serait l’incarnation? Après tout cette Basilique a été bâtie sur un site prisé des druides anciens invoquant les forces de la nature, et qui aurait aussi servi de lieu de supplices aux martyrs chrétiens, sans oublier le sort funeste des milliers de parisiens massacrés lors de la Commune de Paris, dont elle veut effacer le souvenir, en rappelant qu’elle est au service d’un ordre moral face aux errements d’une République dévoyée. Que cet endroit soit hanté par le passé, il n’y a rien d’étonnant mais de là à y trouver des fantômes. Avec une crypte sous la basilique, il ne serait d’ailleurs pas surprenant de voir errer des âmes tourmentées dans notre monde. Après tout il y a bien des fantômes en Ecosse ou au Père-Lachaise, pourquoi pas ici? Mais je n’y crois guère et puis les guides touristiques n’en parlent pas. C’est vrai que les visites sont minutées et ils n’ont pas le temps de parler de tout. Il paraît qu’en vieux francais Montmartre signifie martyr…Mais c’est moins glamour pour le tourisme et puis il y a déjà une rue des Martyrs qui vient mourir sur les contreforts de la butte. Cette photo d’ectoplasme aperçue brièvement, me trouble. Mon esprit cartésien reprend le dessus. Je sais que l’image aperçue est une réaction à la lumière de sites photosensibles parsemant le capteur de l’appareil photo. Mais est-ce bien certain? J’essaie de me rassurer. Je me suis sans doute laissé imprégner par les lieux…Au fond de moi-même, je n’en sais rien. La personne qui a pris ce cliché n’en saura rien non plus, sauf si elle-même est en quête d’une vérité ou en recherche d’un passé pas forcément glorieux…Est-elle un détective mandaté par un commanditaire inconnu mais redouté, qui cherche à faire la lumière sur ce que cet édifice tend à dissimuler? on se perd en conjectures mais il est fort à parier que l’ectoplasme ou cette forme bizarre aura disparu lorsque cet inconnu consultera ce cliché après coup…La photo sera banale, identique à des milliers d’autres qu’elle partagera entre amis et familles, se perdant parmi les millions de photos de touristes qui auront visité cet endroit. Combien reproduiront cet ectoplasme ou cette masse informe en devenir, selon l’interprétation que l’on en aura? Ce phénomène physico-lumineux apparait furtivement à chaque prise de vue, que l’on soit athée ou croyant. Combien le remarqueront? je l’ignore. En tout cas, il y avait bien cette forme bizarre sur cette image comme vous pouvez le voir mes amis. J’ai quitté la basilique sans revoir les personnes à qui appartenaient ces mains. Elles sont sans doute ressorties noyées dans la masse des visiteurs venus dans la basilique ce jour là. Si j’avais attendu, j’aurais, je pense, reconnu la jeune femme au chapeau. Mais la deuxième personne? Etaient-elles venues ensemble ou séparément? A qui était cette main qui a photographié cette forme? un touriste anonyme probablement à moins que…