Texte de départ :
L’hypothèse de l’aïeul
Ce serait un livre sur l’homme au regard de fer. Regard de fer pour le photographe du portrait officiel et nous les descendants à travers lui. L’écrire à partir des bribes rassemblées dans les récits de celles et ceux qui ont suivi. Avec peut-être le passage obligé aux archives locales ? On déconstruirait le regard fier. Dire alors le souffle court à cause des poumons fragiles ramenés des tranchées et qu’on crachera sa vie durant. Le travail de sa terre rendu quasi-impossible et puis l’alcool et toute la violence qu’il bombarde sur les proches pour sa vie volée.
L’hypothèse de la demeure
Dans ce livre on évoquerait la vieille ferme. La donner à lire, gonflée de toutes ses pièces, d’avant et d’aujourd’hui. Écrire ses étages de pierres brutes mal jointoyées et élevées sur plusieurs générations en fonction de l’argent rentré avec les récoltes, avec les veaux vendus au marché ou remonté de la mine. Écrire ces saluts laissés par les maçons d’alors : la pierre d’un moulin à grain et une bouteille de vin rouge scellées sous le faîte. Écrire aussi les arbres de maintenant et pour qui ils furent plantés, à chaque naissance, et aussi celui laissé comme trace par le fils du regard de fer pour, après lui et depuis, son ombre tendre à recouvrir les après-midi des repas de la famille.
L’hypothèse du recueil
Rassembler et compléter l’ensemble des bouts de textes avec de ce lieu. Faire kaléidoscope des paysages du pays de ceux perdus qui ne se sont et n’ont jamais été écrits.
L’hypothèse du journal de l’aïeul
L’homme au regard de fer, passé par les classes des hussards noirs, a beaucoup écrit aux siens depuis les tranchées. Alors, quand les autres partent pour les champs, ou quand il garde aux prés avec les enfants ou bien une nuit attablé à la chandelle dans la cuisine parce qu’il n’a plus de sommeil, on lui ferait prendre un crayon gris et un de ces cahiers d’écolier à grosse couverture d’un bleu presque violet. Il ne parlerait plus seulement à sa bouteille. Il ferait retour sur ses jours, sur sa guerre, cracherait ses colères. Bientôt, il en viendrait à vouloir lire ses conscrits qui publient à la même époque – se renseigner sur ces livres qui auraient bien pus lui parvenir jusqu’au fin fond de sa campagne ? – et en ferait comme de petites critiques. Bientôt aussi il emprunterait de ses livres de l’école des enfants et demanderait peut-être même à l’instituteur ou trice d’autres plus costauds ? Ou alors plutôt l’instituteur ou trice qui, soucieux.se de ne pas froisser le poilu, mettrait du lourd dans le cartable des petits. Lui faire passer alors pour commencer un Jules Verne, un Dumas, un Pergaud, un Hugo et puis un jour, lui lâcher un Rimbaud ou un même un Faulkner – à vérifier pour les dates des traductions-. Et lui d’écrire encore plus. Dans ce livre, on lirait tous les textes repris de ses cahiers imaginés. On pourrait prétendre les avoir retrouvés dans le vieux buffet.