B ancs de mémoire
Ce fut comme on se l’était doucement dit entre nous les frères (mais sans trop s’appesantir en se passant les demi-mots du bord des lèvres on se réjouissait de la bonne surprise cette faculté inespérée chez elle supporter le choc sans doute notre manière de conjurer) trop beau pour durer ça a tenu un peu plus d’une année peut être presque deux le temps malléable disons deux après le décès petit à petit elle s’est débattue dans ses blancs de mémoire balbutié l’angoisse pâle et en sueur des histoires quand même rameuter des images du monde l tout s’enfuyait se mêlait conspirait s’effaçait dans le petit salon (ainsi familialement nommé en raison de son impossible exiguïté on étouffe ici avait dit un jour bien longtemps l’aîné parlait en son propre comme au figuré) moquette bleue très foncée piquetée de minuscules losanges dorés bibliothèque en contreplaqué étagères à vitres coulissantes fabriquée sur mesure dominant et encadrant le canapé trop mou simili cuir brun usé crisse et accroche les cuisses nues quand on s’assoit l’été fait transpirer aussi en hiver pièce surchauffée boutons agglutine-poussière comme des nombrils encrassés trois places (coude à coude) appui-têtes en crochet devant la table ronde son plateau noir motifs (?) recouvert de verre et puis les deux fauteuils assortis au canapé le téléviseur perché sur son meuble à tablette rouge sorte de pvc épais rouge rouge brique haut sur pieds en laiton grêles et brillants années 70-80 un jour le journaliste de la télé tu as vu la grosse vieille dans son fauteuil ? qu’est ce qu’elle fout là mais qu’est qu’il raconte celui-là tu m’as dit tu l’as bien entendu (?) allons sûrement tu as mal compris et puis c’est allé à vau-l’eau sur tes bancs de mémoire des histoires d’école et de curés de fille polissonne qui fera bien comme elle veut surtout qu’elle est si vieille maintenant 90 ans pensez j’ai bien le droit de me reposer non mais c’est vrai ce que je dis c’est bien vrai
Blancs sur blancs
oui et distants bancs de bouts de mémoire, images et contrefaçons du réel ensablé
belle évocation du naufrage
juste de gênée par la grosse vieille à la télé, le « grosse » m’a semblé de trop, a perturbé l’évocation…
Bon, mais c’est moi et ce qui rentre en résonance avec moi
de mémoire – la mienne – ce sont les propos exactement « entendus »…
Très fluide…
merci !
Sais-tu que ton texte apparaît comme « sans titre » dans la liste des derniers publiés.
Trop de blanc nuit.
Oui ! c’est parce que j’ai utilisé un bloc texte pour le titre, sinon impossible de laisser un espace… enfin j’ai pas su autrement !
après suis en train de lire un essai sur l’effacement !
oui merveilleusement fluide malgré le rythme marqué
ce merveilleusement passe comme un rêve !
texte à pas de loup dans la chambre à moquette bleue
(ma petite maman a aussi 90 ans)
merci Jacques
merci de nous rendre cette délicate visite