Une gamelle, une écuelle en aluminium d’allure bien solide. Un côté luit à la lumière. Sa forme est ronde avec deux passants soudés et un couvercle retenu par une petite chaînette. La nourriture reste au chaud. Des traces de soupe encore sur les bords. Ça compte le déjeuner. La gandieule est posée sur un coin de table où de grosses miettes s’entassent, il reste un quignon de pain entamé avec une mie blanchâtre il a été coupé de manière irrégulière. Une bouteille d’un verre épais dépoli de couleur verte vide au ¾ avec un reste de vin couleur prune, ce sont les reliefs d’un déjeuner. S’éparpillent sur le plancher fait de planches jointes et vernis une poussière impalpable et au pied de la table des saletés s’étalent sur le sol désormais recouvert d’une pellicule terreuse. Disposés de chaque côté de la table des bancs d’un bois blond visés sur le sol marqués d’initiales NDS. Dans la salle des 3e classes les soldats arrivent par vague leur gamelle à la main. Il y a de la place pour 36 bien serrés. Au bout de la table, un verre de vin entamé oublié et des bouteilles remplies d’une eau claire. Il n’y a pas de dépôt dans les bouteilles transparentes où se reflète la lumière de l’ampoule suspendue juste au-dessus de la table et qui se balance au gré des flots.
Au mur, les bords jaunis d’une photographie sont écornés. Des cailloux, des morceaux de pierre de taille moyenne roulent sur le talus et font glisser les deux femmes qui s’aventurent en dehors du sentier de terre. Une femme assise regarde, elle porte un foulard blanc qui lui cache les cheveux, des mèches brunes s’en échappent. Assise, elle prend la pose au soleil un couffin posé sur le sol à ses pieds. Elle s’arrête un instant pour reprendre son souffle et semble attendre alors qu’une autre femme avance un large couffin en osier en équilibre sur la tête chargé de fruits charnus Elles reviennent du mont des oliviers avec leur cueillette, la récolte a lieu près du monastère. C’est une bonne année même si les olives sont petites.
On peut parler aussi d’une autre ampoule allumée dans un couloir où on voit des ombres qui s’agitent et il faut évoquer du bruit puisqu’il y a également le hennissement des chevaux et le craquement du bois. Ils sont installés Salle Sainte Antoinette à côté de la salle à déjeuner destinée habituellement aux passagers de troisième classe et attribuée pour le voyage aux simples soldats. Des course furtives et des grattements. La présence des rats est inévitable dans les cales où ils se cachent pour échapper aux coups de pied des marins qui s’occupent des machines ou encore aux griffes du chat qui les guette. Ils sont gras et de grande taille et les hommes dans la pièce entendent parfois leurs courses dans le noir lorsqu’ils détalent poursuivis par Grisou, le chat noir et blanc propriété d’un membre de l’équipage qui connait le navire comme sa poche. Des miaulements retentissent lorsqu’il attrape l’un d’eux d’un coup de patte rapide et joue à l’affaiblir.
Une porte est ouverte sur le couloir il a été question des relents de cuisine à cet endroit du bateau. Un calendrier accroché sur un mur tourné à la page 30 aout 1900 on distingue des chiffres rayés. A l’intérieur de la pièce meublée de plusieurs tables et chaises des plus rustiques résonne un bruit métallique et répétitif s’y ajoute encore le bruit de sabots qui claquent sur le sol ainsi que des raclements frappant l’oreille et qui proviennent d’hommes armés de fourches. Au loin, beaucoup plus haut et plus lointain un bruit sourd et sec une masse lourde qui heurte le bois ; on entend le ratissage méticuleux du fumier de la salle Sainte Antoinette ; des palefreniers qui renouvellent la paille pour les bêtes. A l’entrée de la pièce, deux hommes portent une cantine à bout de bras pour la distribution des rations. La file des hommes est longue à chacun sa place et chacun son heure. Les hommes vêtus de pantalon de treillis pressés par la faim attendent leur tour parfois avec impatience en se bousculant. Certains peuvent s’assoir lorsqu’une place se libère sur le banc avec la gamelle remplie et fermée d’un couvercle pour garder la chaleur. Trois hommes prennent place heureux du repas à venir. D’autres n’ont pas cette chance ils doivent se résoudre à aller manger sur leur lit de camp. Pas de place. C’est leur nouveau logis au même niveau -au 2e entrepont- à quelques encablures de la salle sainte Antoinette où on transporte des chevaux et des mulets, les hommes avec leur gamelle à la main atteignent ce qui fait office de dortoir, la salle sainte Marguerite. Ressorts des lits métalliques prêtés par la Croix Rouge et alignés où ils s’assoient las. A la transpiration se mêle les relents de nourriture qui s’échappent des gamelles désormais ouvertes. Aujourd’hui c’est fayots avec un bout de viande qui surnage. Du pain frais craque il est encore chaud car la cuisine dispose de fours et il est cuit chaque jour au premier entrepont. Au-dessus de leur tête. Ça s’agite car les officiers se restaurent au même moment mais là pas de gamelle mais des d’assiettes en faïence qui s’entrechoquent lorsqu’on les sert. On ne mélange pas les serviettes et les torchons.
Les deux femmes ont repris leur route elles se hâtent vers les habitations il y aura assez pour le pressoir et le reste des fruits noirs servira à agrémenter les plats au quotidien. Les enfants accourent à leur rencontre heureux de les voir arriver avec des olives. L’un d’eux en quémande une qu’il attrape de ses doigts et porte à sa bouche, ravi. Le fruit noir lui remplit la bouche et le jus coule par filet. Au coin de la photographie en noir et blanc le nom de Jérusalem est inscrit.
Les soldats dans la salle des 3e classe se sont installé autour des tables. Une portion de patates avec de fayots et des morceaux de viande grasse. Pas un mot car ils avalent goulument leur ration trop affamés pour parler. L’un deux mord dans la viande puis sort de sa poche un couteau et entreprend de le découper. Le soldat qui lui fait face mange de bon appétit et se sert de son pain pour saucer. Aujourd’hui le dessert est servi ce sont des fruits en conserve