Déroutés, perdus. On s’est retrouvés perdus. Plus que perdus tous les quatre dans cette vieille voiture. Perdus dans nos repères spatiaux mais pas que et c’est là que ça a dérapé, que ça a fait mal. Tout ça parce qu’il y avait des travaux sur les boulevards périphériques parisiens, qu’on a du emprunter un autre itinéraire. Puis second obstacle à la normalité du trajet : on se trouve face à des travaux et à l’impossibilité de prendre la bretelle d’autoroute qu’il fallait. Alors dés que possible on sort de cette autoroute, qui nous mènerait loin, ailleurs, là où on ne veut pas aller. On redoute cette sortie, mais faute de pouvoir faire autrement, on la prend. On y va dans un inconnu appréhendé. Et là en effet, dés la fin du virage de sortie, la vraie grande perdition. Non pas tant de se trouver à une heure du matin dans les rues d’une banlieue parisienne inconnue, déserte, sans GPS, mais dans nos relations personnelles. L’hostilité immédiate du contexte urbain se transfère sur nous, se métamorphose en une animosité grandissante. Où aller devient comment faire dans cette galère ? Quelle direction prendre devient qui est le plus crédible ? Le plus intelligent ? Le plus écouté ? Le plus respectable ? Le plus quoi ?
L’un d’entre nous est sensé connaître un peu cette ville, car y étant venu il y a des années et des années. Mais il ne reconnaît pas. Tout a changé, de plus il fait nuit. Mais petit à petit il devient le bouc émissaire, celui qui devrait nous guider et qui ne peut pas. Il est face à son impuissance, désemparé, perdu. Il se sent gêné, mal face à ses oublis, il se sent accusé, acculé de répondre. Il n’est pas responsable mais si pour les autres, il est responsable. Il en faut bien un de responsable. Un pour payer ces travaux, ce retardement, ces empêchements. Ce n’est pas parce qu’il ne connaît pas que c’est une bonne raison pour ne pas nous dire où aller. On est tous épuisés. La mauvaise foi, les propos acerbes n’ont plus aucun lien avec la situation, les tensions montent et nous dépassent. On est perdu, on a perdu nos rôles les uns vis-à-vis des autres. Les déconsidérations, les jugements pullulent. Ça panique, ça dérape, ça blesse. Faut calmer. Faut arrêter là. Faut s’arrêter là. Là on est où ? La fatigue accentue la crainte d’y passer la nuit, la dérive des sentiments, l’envie de se retrouver, d’être chez soi, de dormir.
Le moteur de la vieille voiture supporte les coups de frein brutaux, les demi-tours, les coups d’accélérateur injustifiés, sans tenir compte du bon ou du mauvais chemin. Et nous, on ne sait toujours pas le nom de la ville, des rues dans lesquelles on avance, à l’affut de panneaux de signalisation. Lorsqu’on en voit un il ne nous aide pas. On ne connaît aucune des villes, des quartiers indiqués. On avance en aveugle, ou presque. Des relents de silence de l’après tempête. Ce qui est certain, c’est qu’on n’est pas dans un centre ville. Ni mairie, ni église, ni commerce. Face à nous un feu rouge au milieu de nulle part, enfin si, entre une voie ferrée et des palissades d’un chantier de construction. Une chance qu’il soit rouge ce feu, car s’arrête un scooter. Avant qu’il ne redémarre on lui demande où on est. Il n’est pas en état de nous répondre. On fait demi-tour, arbitrairement, une fois de plus. Et là c’est décidé on avance tout droit toujours dans la nuit. Dans l’habitacle, un immense silencieux après cette décision. Tout droit, toujours tout droit comme le Petit Poucet. Bien sûr à certains carrefours il n’y a pas de tout droit, d’en face, mais tout de même on essaye de ne pas tirer de bords. Et soudain un panneau nous indique un nom connu. On le suit. On le suit et la suite vous l’imaginerez.
Une histoire, qui pourrait devenir nouvelle, chapeau bas.
bien aimé. ça m’a inspiré aussi pour retrouver les émotions de quand on est perdu et qu’on en veut à la terre entière.