C’est une rue ombragée par une enfilade de peupliers, le feuillage retombe nonchalamment, caresse l’air sans vent, sans un passant, sans un véhicule, une invitation au silence. De chaque côté, un trottoir éloigné de la circulation par une bande de terre et plus loin, en retrait, des habitations. La tranquillité habite le lieu. Un panneau de signalisation indique de ne pas dépasser 30km/h, plus bas, un rétrécissement s’annonce matérialisé par des blocs de plastique rouges et blancs, huit à droite, un bloc blanc pour débuter, huit à gauche, qu’amorce un rouge, la priorité est en face. Plus bas un pont métallique rouge enjambe la rue, 3,8 mètre maximum, la teinte luit comme un phare, passage des sportifs du gymnase à la plaine de jeux, terrain de basket, mur de béton en liberté, tagué d’un visage aux lèvres épaisses, tons carmin, vert d’eau et bleu délavé. Au pied du pilier de soutien du pont habillé de carrelage bleu, l’arrêt du bus numéro 59, arrêt Louise Michel. Plus loin un panneau blanc indique un centre commercial à 100 mètres, avec une pharmacie. La rue se termine à une extrémité par un Y, de l’autre par un rond-point, au-delà la ville change de nom, un panneau remercie les automobilistes de leur visite et l’Affichage Libre incite à un Don du sang vendredi 26 juillet.
Arrêt de tram Pablo Neruda, les deux noms de l’arrêt se font face. Deux voies de rails fendent les voies de circulation, une structure aluminium grise, froide, un banc de bois défraîchi pour marquer l’arrêt, des buis coupés consciencieusement, des arbres aux feuillages cubiques pour protéger des voitures. Les aiguilles de la pendule accrochée au-dessus de la structure sont couchées à 15h45, l’arrêt est désert, le temps semble arrêté. Derrière, une entreprise de réparation et remplacement de pare-brise. Les prémices d’une zone artisanale ? Alentour ni passant s’approchant de l’arrêt, ni voiture roulant vers le rond-point au bout de la rue. L’arrêt baigne dans la solitude. On se demande à quelle heure sera le prochain tram, s’il y aura des passagers, si certains descendront. Où iront-ils ? Connaissent-ils les poèmes de Pablo Neruda ? Frederico, tu vois le monde, les rues, le vinaigre, les adieux dans les gares quand la fumée élève ses roues décisives vers un lieu où il n’y a rien sinon quelques barrières, quelques pierres, quelques voies ferrées.
Interdiction de cracher. Lettres blanches sur fond rouge. Et l’on regarde attentivement d’où pourrait venir l’averse. Du portail bas, couleur verte ? Du camaïeu des briquettes ? Des soixante-quinze fenêtres de l’édifice de béton ? Du jaune colza des encadrements ? Du bâtiment vitré faisant office de cantine ? Des trois adultes discutant devant le portail ouvert ? On peut le demander à l’accueil, panneau bas, lettres noires sur fond bleu, à la myrte écarlate ou au gazon verdoyant. Pablo, as-tu déjà craché ? Des mots, des peurs, des paroles blessantes, des poèmes ratés, des cantiques, des barcarolles ? Dis, as-tu déjà craché dans la cour du lycée ?