Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, vous serez là invisible et que pourtant je serai intimidée en la regardant retourner les toiles auxquelles elle tient et toutes les autres que la famille a gardées, davantage peut-être que si je vous avais rencontré plus tôt, comme je l’aurais fait si n’avais pas été un peu trop indépendante de ceux que j’aime et que vous avez connus, davantage que si, plutôt que de risquer une réflexion, une phrase dont je crains la maladresse et l’insuffisance, je n’aurais eu qu’à être là, à regarder votre sourire émerger de la barbe blanche, à me pénétrer peu à eu de votre monde, de vos couleurs franches, de ces assemblages, collages, ces images construites à partir des éléments qui reviennent d’une toile à une autre, et de cette ironie coléreuse, ou cette tendresse pour la dignité simple de ceux qu’on dit humbles.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, vous êtes là, le grand père attentif, et l’enfant de la campagne autour du Revest, du moins je le croirais en laissant mes doigts s’amuser des jouets anciens sur une étagère.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, il y aura ces enfants vêtus de bleus et de gris, vêtus de travail, leurs casquettes, leurs mains et ces bouches fermées, leur petite taille et leur volonté, devant une proue de navire, et qu’il y aura peut-être le souvenir de ce temps où vous fûtes, même brièvement, docker à l’arsenal, et le souvenir aussi, plus tard, de l’ami des anciens chaudronniers-tuyauteurs des Chantiers navals de La Seyne ; je voudrais croire que vous avez aimé l’hommage au peintre et surtout à l’homme engagé avec eux qu’il vous ont rendu il y a deux ou trois ans par cette exposition à la Maison du patrimoine de La Seyne.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, il y aura ces grands panneaux tels des collages et ces compositions qui rappellent le jeune dessinateur d’un cabinet d’architecte, je sais qu’il y aura le bébé Cadum, Ya bon Banania, Marilyn, le Che, Geronimo à côté de la statue de la Liberté enlisée dans du sable, une jeune femme noire et un homme en complet blanc avec deux chiens danois, les putti avec leurs brassées de roses, votre jeu avec les publicités, la propagande, les médias, le jazz, les pin-up sur la plage, les traces de ce qui nous entoure, de ce qui vous entourait, des rapprochements heurtés qui éveillent, votre militance et votre humour.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, il y aura le fils de l’immigration italienne, il y aura ces humbles et dignes, des valises posées à terre, des jeunes femmes à la coquetterie sage, ces hommes simplement debout, souples et graves, il y aura aussi les guinguettes et puis Fred Astaire sautant, grand, au dessus de deux danseurs en uniforme de l’Opéra de Pékin, petits parce qu’éloignés sur le fond rouge, il y aura les plaisirs simples et ces enfants en bleus de travail aux grandes mains.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, il y aura dans un coin, dans un tiroir, des chemises ou un album, peut-être tenu par elle, des photos de vernissages où vous serez avec vos amis ou compagnons passagers Rancillac, Fromanger, Molinéris, Chaland, des vénitiens ou des marocains, d’autres.. et des jazzmen.
Je sais que derrière la porte que votre fille ouvre pour nous, il y aura ces toiles qu’elle retourne, sa mère souriant à l’arrière plan, pour nous les montrer avec l’amour de l’héritière dont les tableaux portent, outre l’élan du départ, un peu de votre influence, et puis sur une table, parmi des brochures, catalogues, quelques bandes dessinées pour les enfants, il y aura quelques portraits des vôtres.
(j’ai porté la toile « nous nous sommes tant aimés » à l’iconothèque de Anne Savelli, regroupant les apparitions (fréquentes) de Marilyn dans nos paysages) (les toiles – si ça peut intéresser – peuvent être admirées ici : http://www.giacobazzi.fr/galerie/accueil.html) et merci pour la découverte…
Je la cherchais sans la trouver sur l’affiche !