Un portail en fer, sur rail unique, très lourd à manier, avec ce bruit significatif de roulements qui se termine par un claquement final vif, quand il est ouvert, un claquement sourd quand il est fermé, diffusion de bruits métalliques, assourdis, huilés, une forge rythmée/ roulements silence/roulements silence/roulements silence/ distance électrique, le mur du son. Des arabesques en fer forgé, surmonte cette pièce de métal. De la rue il paraît, inoffensif, presqu’aérien, un décor anodin devant la maison aux murs d’un rose soutenu. Dans la cour intérieure, bordée de cactus divers et de fleurs éparses, il pèse, sa surface lisse vert basque, repeinte récemment, exprime la frontière dedans/dehors. Infranchissable si on a pas le code d’accès. Me suis souvent senti enfermé dans cette maison familiale, loin de la porte en verre et bois de l’immeuble dans lequel je vis. Me suis senti aussi à l’abri dans les gestation des nuits sans fin. Il y a des portails, légers, souriants, automatiques, d’autres prétentieux dans leurs énormités inutiles, des portillons qu’on pousse sans s’en rendre compte. Celui là n’existe que par sa fermeture et sa capacité à se taire. Quand on est dans la rue, il ne donne aucun signe de ce qu’il y a de l’autre côté , une fenêtre aveugle sur le vide. Pour donner une indication de l’adresse, on ne dit pas le numéro de la rue, ni la couleur de la façade, mais le Portail Vert, comme si son existence remarquable, faisait lieu incontournable. Les lauriers roses de chaque côté, très fleuris et chargés l’été, accentuent, le caractère isolé de cette pièce de métal. On pourrait croire que la maison a été construite pour lui donner une utilité. Une ouverture entre deux piliers flanqués de lauriers qui donnerait sur un terrain vague ? Absurde ! On l’a posé là, pont levis latéral, il n’a plus rien d’épique, il fatigue et la rouille commence à l’attaquer par le bas et le corps s’étiole, diaphane perte affermie de l’ivresse sans lendemain. Le bleu du ciel limpide, lui seul n’a pas changé, l’été le fer est chaud, un gardien incandescent, loin des porches et des passages qu’on aimerait secrets qui cachent pudiquement les lézardes du temps. Quand la sonnette retentit dans la maison – une sonnerie stridente qui fait sursauter- il y a un temps de silence presque suspendu, le visiteur de l’extérieur ne sait pas si on l’a entendu, il reste les yeux fixés sur la paroi verte, il espère sans oser sonner de nouveau. Un léger cliquetis, léger pour cette pièce massive, un clic de boîte à musique, et le rail se déroule, et le portail s’efface peu à peu en gémissant jusqu’à sa butée, il masque le muret rose et la boîte à lettres encastrée, on pense à la voûte d’émeraude, au ravin de la main morte, aux combats des arbres racines à racines contre le bitume, aux forêts sombres et anarchiques. Le jour sa couleur tranche. La nuit à peine éclairé par un réverbère, il devient presque noir, caméléon outrancier, il peine à marquer la lisière du trottoir et se rengorge dans son coin , vomissant la chaleur du soleil. Le vent, le fait vibrer parfois, rarement, il faut que des bourrasques l’attaquent de plein fouet, sauvagement, mais c’est dans le silence qu’il n’en finit plus de grincer.