transversales #03 | monstres en contrepoint, notes

Dépli des histoires (effeuillage rapide)

Synopsis. C’est l’histoire d’une métamorphose en monstre. C’est l’histoire d’une violence inouïe que jamais le monde n’a cessé de raconter. Ainsi j’ai lu, ainsi je raconte – un amour dément, un festin bestial, un carnage redoutable, une furie dévastatrice, un viol des lois du sang, une folle rancœur. La fureur renverse les lois humaines.

Décor. Une terre qui engendre des monstres, des semences de dents du dragon. Un soleil incertain. Des lieux qui subissent sans relâche le malheur. Ce sont des paysages de bois sauvages, de pics aiguisés, de mer assassine. Les personnages pétrifiés sont accablés de douleur. Ils se lamentent. Je vois la mort livide aux dents voraces qui guette. J’entends le bouillonnement des ombres souterraines.

Situation 1. Un enfant agile disperse ses flèches. Une femme est touchée, son sort est fait. Un homme rumine le vol d’une toison sacrée. Il prépare un piège. Une femme trahie réveille son pouvoir de nuisance. Elle exulte à l’idée de sa vengeance. Un homme au rang des héros a réussi toutes les épreuves. Il perd la raison. Un homme supplie de connaître la vérité. Son malheur est déjà consumé. Ses fils n’ont plus rien à perdre. Je sais que ce qui compte ce n’est pas la fatalité qui les relie tous. Ce qui compte c’est la fureur. C’est la violence toujours plus grande qui est déployée.

Situation 2. Une femme accuse son beau-fils d’un viol. Elle a fait le deuil à jamais de la honte. Un homme prépare le festin sacrilège. La chair humaine bouillonne dans la marmite. Une femme, sorcière d’Hécate, choisit ses poisons – plantes mortifères, venins, oiseaux de nuit. Elle martèle ses incantations. Un homme revenu des Enfers répand la mort comme une maladie contagieuse. Il procède au massacre. Un homme comprend que la vérité est un fléau mortel. Il doit subir l’expiation.  Provoquer la fascination pour ce qui pousse hors de soi-même. Déplacer l’humain.

Situation 3. Une femme touche à peine des lèvres le nectar fatal. Elle tue le remords mauvais frère. Un homme goûte le fruit de ses entrailles. Il est frappé d’horreur. Une femme exulte le poignard à la main, ses enfants tremblent. Les flammes au loin ne cessent de grandir. Un homme s’effondre dans un bain de sang. Il est nu comme un animal, il a tué ce qui restait de l’homme. Un homme excave ses orbites. Il s’est enveloppé de ténèbres. La monstruosité comme représentation pure. Qui décide quand s’arrête le réel ?

Situation 4. Ceux qui restent. Deux frères luttent pour le pouvoir. Ils sont contre, ils sont fils de, ils n’ont plus rien à perdre. L’histoire tourne en boucle.

Contrepoint 1. Elle s’appelle Médée, elle est une femme trahie. Elle se souvient des Argonautes, elle se souvient des crimes – la trahison, le meurtre du frère, la liquidation du roi despotique. Le héros de la toison d’or la répudie, il doit épouser une autre femme, une reine. Elle aime ses enfants, elle refuse qu’ils aient une autre mère. Médée, petite-fille du soleil, a depuis bien longtemps sacrifié ses prérogatives royales.

Elle s’appelle Médée, elle est vouée à l’exil. La Colchide n’est pas soumise aux lois de l’hospitalité, elle ne doit pas accueillir Jason. Elle a choisi l’enlèvement, elle a choisi la fuite, elle a choisi de liquider tout l’héritage. Elle est étrangère à jamais sur le sol des hommes. Elle supplie Créon, elle demande un délai. Elle n’a nulle part où aller. Le sursis est un arrêt de mort. Médée prépare la destination finale : partout hors de l’humanité.

Elle veut de nouveau être Médée, elle veut retrouver son pouvoir de nuisance. Elle se souvient de la jeune fille vierge qu’elle était. Elle veut annuler son union avec Jason : elle promet des noces d’un genre nouveau. Elle prépare le chaos : elle enflamme Corinthe et tue ses enfants devant le père suppliant. Elle a bâillonné sa douleur, elle lui a ordonné de se tenir tranquille. Elle s’apprête sur son char à fuir le monde des humains, elle est hors la loi. Elle est un monstre.

Notes

Les personnages (faut-il les nommer ?) : Phèdre, Thyeste, Médée, Hercule, Œdipe, ses fils.

Voix polyphoniques :

Le messager (la voix du passé) : son discours fait monter la tension tragique.

Le chœur (la voix du présent) : il apporte la tonalisation, l’empreinte subjective. Il organise la voix qui perçoit. Il dit les émotions. Il est musique, il est danse. Il est la chambre d’écho du mythe dans le présent. Il fait résonner l’expérience vécue : une coïncidence du soi et du non-soi. Il orchestre une expérience de l’altérité radicale. Il exorcise le mal par sa représentation.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.