le 11 02 1959 à 16 H et trente minutes, poids du bébé 4 kilos 700 grammes, né à terme, neuf mois pile dis la mère qui sait ( vingt ans la mère et trente-sept le père) : 58 centimètres du sommet du crâne à la pointe des orteils, chiffre 2 suivant la nomenclature ( garçon : 1 – fille : 2)…
1 7 3 2 8 6 un bon gros bébé dans les beaux bras de la mère 1 7 3 2 8 6 le père ne prend pas le bébé dans ses bras 1 7 3 2 8 6 le père part dans les montagnes se soigner …
1 7 3 2 8 6 au 2 de la rue ( 2 comme fille) métro Anvers dans le dix-huitième arrondissement de Paris (75018) la mère monte 5 étages avec le bébé dans ses bras ( 5 sans ascenseur) elle rentre chez ses parents, par la fenêtre du cinquième étage on voit les trois coupoles blanches, trois comme trois grosses tétines ou comme un gâteau de Pâques avec en dessous des os par centaines racontera un jour la mère…
1 7 3 2 8 6 au douzième coup de minuit (au théâtre c’est 3) le grand-père passe la tête avec un biberon il prend l’enfant das ses bras 1 7 3 2 8 6 (et le 6 presque effacé) : le père marche sur un chemin dans les montagnes il a de très longues jambes et de très longs bras, 1m 89 et 70 kilos avec chaussures, de sa fenêtre il voit des sapins et des stères de bois par centaines ( 1 7 3 2 8 6 à l’encre bleue et le 6 presque effacé) il voit des montagnes mais pas le bébé qui boit au moins 900 biberons en six mois…
1 7 3 2 8 6 dans les bras de la mère
1 7 3 2 8 6 au 2 de la rue 2 comme fille à l’encre bleue et le 6 presque effacé…
1 7 3 2 8 6 et trois souris aveugles plus loin l’enfant a grandi, elle trotte, elle sait même compter jusqu’à 10 sur ses doigts et bien plus encore (1 7 3 2 8 6 à l’encre sous la peau) : 1 vilain petit canard + 3 petits cochons + 7 nains + quarante voleurs en mille et une nuits avec une robe couleur de temps ça fait combien de 6 ?
1 7 3 2 8 6 le bleu ne part pas quand tu frottes
1 7 3 2 8 6 elle compte à présent dans sa tête jusqu’à mille sans les doigts
1 7 3 2 8 6 et le 6 à l’encre bleue presque effacé
elle compte 1+7+3+2+8+6 les chiffres on peut les additionner et on peut les soustraire (ça fait 9,) on peut les multiplier et les diviser dans sa tête ou à l’encre même à la craie et après on peut les effacer. ou les oublier… 173 + 286 ça fait combien si on multiplie par 6 ?
un point à l’envers un point à l’endroit : combien de points pour une écharpe ? une croix à l’envers une croix à l’endroit combien de kilos de terre au cimetière? elle compte dans sa tête : un kilo de cheveux ou un kilo d’os qu’est ce qui pèse le plus lourd après elle trace des chiffres sur le mur à la craie à la craie qui s’efface sur le mur( à Ellis Island avec une croix à la craie dans le dos tu repars mais si tu repars tu risques de mourir combien par dessus la rambarde? )
1 2 3 soleil : un soleil pour combien d’étoiles mortes 1 7 3 2 8 6 et le 6 presque effacé
pas effacé dit le père juste un 6 mal fait dit le père qui n’aime pas parler des chiffres mais sait très bien compter…
viennent les quatre filles et les trois mousquetaires en 80 jours et vingt mille lieux : 1 7 3 2 8 6 l’encre ne s’efface pas
vient le deuxième sexe et le premier homme
1 7 3 2 8 6
l’encre tient
( on peut additionner et soustraire on peut diviser et multiplier il y a des chiffres qui ne s’effacent pas même si on les efface… )
le 03 02 1944 1214 personnes montent dans le convoi 67: 184 enfants et 14 vieillards; 662 hommes pour 552 femmes. Le 06 02 1944 à l'arrivée 166 hommes reçoivent les matricules de 173228 à 173393et 49 femmes ceux de 75123 à 75173 en 1945 il y a 26 survivants dont 12 femmes ... le 14 06 2023 un bateau de migrants fait naufrage en mer Ionienne les rescapés ont déclaré que près de 750 personnes se trouvaient à bord 104 d’entre elles pu être secourues...
Hello Nathalie,
Remuée de lire ton texte ce matin, comment faire face à la vie en survivant, en héritière des survivants, la force qu’il faut devant la vie qui pousse, et les questions qui s’estompent, celles même de l’effacement, les chiffres ici deviennent des prises où s’accroche le texte, qui nous aident à rejoindre un peu plus à chaque étape le profond dont il explore l’épuisement,
Merci.
C’est très beau Nathalie, très fort, ces chiffres, ces images, ton écriture.
Un peu perdue dans vos chiffres mais je comprends qu’ils vous préoccupent . D’une naissance jusqu’à la mention d’une forêt de disparu.e.s , je cherche le lien qui vous tient en suspension dans la voix de votre texte. Les images évocatrices se succèdent comme décousues entre elles et pourtant convergentes. J’aimerais entendre une version vocale de votre proposition pour mieux l’accueillir. L’écriture est très élaborée avec des pointes ludiques dont je ne sais pas si elles sont ironiques, une scénographie pas assez éclairée pour des gens comme moi trop terre à terre. Help !
certainement pas claire cette histoire d’enfant qui grandit à côté du numéro inscrit sur le bras de son père (confus ce jeu avec les chiffres : ceux des titres des livres lus par l’enfant qui grandit, le 2 de la sécurité sociale, les poids et les mesures ( signifiant signifié des chiffres) … j’avais pas trop envie de m’y coller à l’exercice, Ici on dépose des choses ça va vite, c’est ça qui est venu j’ai hésité à mettre en ligne… Merci en tous les cas du retour qui aide à réfléchir Marie-Thérèse
Merci Catherine, Clarence, Marie-Thérèse pour vos lectures
breaking news – coming out (ce n’est ni lieu ni les circonstances de faire de l’humour, quel qu’il soit, mais quand même) : dans ce même convoi numéro 67 (départ Drancy le 3 février 1944, arrivée Auschwitz Birkenau le 6) se trouvait mon grand-père paternel (Victor, que son âme repose en paix, ainsi que celle de W.) qui ne fut pas numéroté puisque mort à l’arrivée, assassiné donc durant ce que nommaient ces immondes représentants de l’humanité le « transport » – quelle bizarrerie que cette rencontre, ici… hein (jt’embrasse, Nathalie) (l’encre ne s’efface pas, non) (l’encre tient) (merci à toi)
V. , W. … 03 02 1944 (67)
oui Piero depuis que je sais (par toi) ça me remue sacrément cette bizarrerie
Merci à toi Piero
je suis saisie, glacée, j’ai mis un peu de temps à comprendre la répétition du 1 7 3 2 8 6, (tu sais comme je suis lente…) et le 6 qui s’efface (mal fait) m’a éclairée, tout ça au travers des yeux d’une enfant, c’est bouleversant. Non non, pas déposé à la va-vite, mais balancé comme il faut. Ne plus hésiter.
Texte très émouvant. Puissant. Il en avait été question durant le Zoom, je voulais le lire. Il est marqué par un passé douloureux. Outre cela, j’aime bien comment la contrainte a été contournée.