Il avait travaillé à Ivry, la banlieue rouge, dans les années 1960-1970 chez Schneider, pas l’armement (du Creusot) mais les composants électroniques radio-télévision ( j’étais une blouse blanche, un petit chef et très choqué de voir les femmes plus âgées que moi travailler à la chaîne les mains attachées -pour leur tirer les bras en arrière par sécurité -) aux premières vacances, il a voulu voir la Yougoslavie de Tito, son communisme et l’autogestion, la deux-chevaux du copain a été vite remplie leurs sacs des couvertures des thermos des lampes de poche les cartes routières à peine regardées tout ça en vrac, plus deux bidons d’huile, là-bas parait-il les routes sont mauvaises et sèches vous pourriez en mettre plus ( ha non, partis à quatre, la deudeuche débordait déjà) le but était la Slovénie alors ils feraient la France, la Suisse et l’Autriche de nuit, ils dormiraient le jour, jeunes fous et confiants l’excitation du départ suffisait ( à quatre, ils conduisirent à tour de rôle et les trois frontières furent passées dans les rires et l’ivresse du voyage) Déjà ils étaient à Klagenfert et eurent besoin de se déplier, leurs grandes jambes étaient comprimées, cette troisième nuit, ils ne rouleraient pas, enfin pas tout de suite, ils ont marché un peu et virent dans la nuit briller des lumirottes entendirent des bruits de voix et un accordéon, oh! la chance, une fête de village, ils s’approchèrent, timidement d’abord, puis entrèrent dans les danses, peut-être trop hasardeux, lui avait plus ou moins dragué une belle yougoslave, il n’a pas fallu longtemps pour que les hommes se rapprochent, menaçants, ils ont préféré partir en courant, entrer dans la voiture, démarre bon sang démarre, un grand silence inhabituel remplit l’habitacle ils roulèrent longtemps pensant que les campagnes n’étaient pas Ljubjana, mais leur enthousiasme ne fut pas trop entamé puisqu’ils virent une grande toile de tente ronde genre yourte et ils avaient tellement soif qu’ils s’approchèrent et virent de nouveau des hommes farouches aux yeux très noirs, mais parmi les quatre, un se mit à dire quelques mots de français, ce fût une effusion, vous êtes français mais j’ai travaillé en France, je connais un peu, entrez venez boire avec nous et dans la nuit sous la tente, ils se remirent complètement d’aplomb, (ils ne savent pas encore que la nuit suivante, en roulant vers Kamnik, la solide deux-chevaux tomberait en panne, et sous le ciel noir, ils ouvriraient le capot, le mécanicien – enfin, apprenti mécanicien du groupe – déclarerait que le rupteur et le condensateur étaient HS (Et comment fait-on, en Slovénie dans la campagne, pour dépanner sa voiture?) c’est ainsi qu’ils apprendront qu’il leur faut commander des pièces à Zagreb, qu’elles mettront sept jours pour arriver, mais que dans leurs démarches, ils rencontrèrent dans cette ville un jeune couple ( en entrant chez eux, ils virent dans la cour une Peugeot 404, le gars avait travaillé un an à Paris ) les huit nuits que dura la réparation, ils eurent des discussions enflammées sur mai 68 et sur l’autogestion de Tito.