Le bruit des talons, clac, clac, clac. Les pas pressés. A cloche pied. Les pieds traînants. Je les vois tous passer. Chaque jour, à chaque heure.
Il y a les chaussures usées dont la semelle commence à se décoller. Il y a celles lustrées fin prêtes à partir travailler, et il y a celles couvertes de boues rentrant d’une marche en montagne. Il y a les chaussons que l’on a pas voulu retirer. Il y a le pied qui s’impatiente et qui le fait savoir en cadence. Il y a la pièce de monnaie que l’on a pas eu le temps de ranger qui roule sur le sol. Il y a les oiseaux qui se nourrissent des miettes que les gourmands ont laissé tomber. Il y a les chiens qui reniflent et les enfants qui s’assoient. Il y a la cendre des cigarettes de la pause déjeuner. Il y a les mains qui se rattrapent quand les pieds ne maîtrisent pas le verglas.
J’avance à pas lents. Je suis trop lente. Je me déplace trop difficilement. Les gosses me bousculent, ça m’agace. Tout m’énerve. J’arrive, ils font la queue, bien-sûr, j’aurai dû m’en douter il est 11h. Ils sont tous malpolis, ils me voient arriver et aucun ne me propose de passer. Je marmonne mon mécontentement, fait claquer ma canne contre le sol, mais ça ne change rien.
Passé la porte, l’odeur n’est pas la même qu’avant, rien est alléchant. Les pâtisseries se cassent la figure sous l’effet de la chaleur et le pain est beaucoup trop blanc. Tout est moche, ça m’agace.
C’est l’aventure, Maman m’a confié son argent. Elle pense que je suis assez grand maintenant. Elle m’a réexpliqué le chemin à emprunter. Je me le répète en boucle pour ne pas l’oublier. Premièrement, je descends les escaliers. Arrivé à la porte d’entrée, je tourne au gauche et j’avance jusqu’au portillon de l’immeuble. Je contourne le parterre de fleurs, et longe la barrière du jardin du voisin. L’étape la plus difficile arrive : traverser sans me faire écraser. Je me place devant le passage piéton, je regarde à droite, à gauche, à droite et encore à gauche. Personne. Je marche. De l’autre coté de la route, je tourne à droite, parcours les étalages à cloche pied jusqu’à l’enseigne du commerce. J’entre, je dis : « Bonjour ! ». Personne ne me répond, pourtant il y a du monde. Je me place derrière un grand monsieur et je suis ses pas, quand il avance, j’avance aussi. C’est à mon tour. J’arrive à proximité du comptoir, je m’apprête à répéter la phrase que j’avais préparé, mais avant même qu’elle ne sorte, une femme parle à ma place. Maman ne m’avait pas préparé à cette situation. Je tente de me faire entendre, mais on m’ignore.