autobiographies #07 | des cha-cha à la mer, points de suspension…

La Alberca, la porte à la serrure sans trou

… de la porte de l’épicerie qui vendait des cha-cha trois par trois dans du papier doré… de celle d’une autre en haut de trois marches, accueils renfrognés de son épicier aux faux airs de Daniel Ivernay, le Daniel-Ivernay vendant cependant de son jambon blanc et de sa Valstar verte – non pas qu’à dix ans l’on en bût de la Valstar verte, mais reste cette odeur de jambon régnant sur toute l’épicerie et sur ce mot de Valstar – Valstar verte, pas rouge, verte – blonde, désaltérante, rafraichissante, Valstarverte, ce mot aujourd’hui encore imprégné de l’odeur du jambon, Valstarverte roulant surtout plaisamment avec elle dans la bouche certaine étrange étrangeté devenant familière à force de répéter le mot pour jouer avec lui tout le long du chemin, Valstarvalstarvalstarverte, Valse-à-valstar, Valstar-à-Valstarverte, Valstar-sans-verte-ou-bien-avec, verte-et-Valstar…Valstar verte véhiculant dans la jubilation toute une langue inventée à l’aller ou retour si l’on parvenait à oublier la remarque de l’épicier renfrogné quand on n’avait pas la monnaie ou qu’on en avait trop.. de la porte cochère d’un hôtel particulier, très particulier, trop particulier, hôtel de cuyo nombre no quiero acordarme1, pour partager avec Cervantes certaines réticences… de la porte de la vitre qui tremblait et manquait se briser quand on la laissait retomber, attirant non pas la foudre mais un résigné fais-donc attention à la porte ! … de la porte de la bobinette à tirer et de la chevillette qui chéra… de celle s’offrant au plus offrant… de celle de la rue Comines et du dernier palier avec les siennes, toutes ces portes pour eux seuls et le palier comme un palais de couloir et de portes à pousser… de la porte de la conciergerie convoitée, passée de belle-mère en bru sur la rue Vaugirard… sur la rue de Sévigné, de la porte vitrée juste en face de celle de la caserne des pompiers, elle affichait parfois je reviens dans cinq minutes, ce à quoi les habitués ajoutaient en souriant minutes de tailleur, aujourd’hui ne reste plus que celle de la caserne des pompiers pour dire où se trouvait celle du tailleur… de la porte de Spring Cottage avec ses deux bottles of milk du temps où l’on chantait encore no milk today, my love has gone away..., Spring Cottage comme on aurait dit la porte du15 ou du 27 de la rue Spring Gardens… des portes à pousser de Walt Whitman – be an opener of doors, qu’il disait, et l’on s’y efforça… de la porte du 3, de celui y officiant, avec des yeux, disait-on, jusques au bout des doigts , le 3 près du square des Trois Lacs, qui ne furent plus que deux, puis qu’un seul… de la porte surplomblant l’échauguette, une porte tout au fond d’un couloir mais au dessus des toits, l’échauguette roucoulant de pigeons… à son insu, la première de toute une collection, celle-ci portant sur elle l’oeil de l’esprit du lieu le long d’un chemin du côté de Patna, dans les Himalayas… de la porte d’un cimetière de plaine, quand elle grinçait encore, que son mur était tout ventru et que lui, le cimetière, lui n’était pas encore un cimetière pour de vrai... de l’imprévue porte d’entrée d’une septicémie, de celle de chez soi après six mois d’absence, naïve assurance que la vie reprendrait comme avant… de la porte d’Ivry-sur-Seine, avec sa ribambelle d’escarpins alignés sur les barreaux d’un tabouret en bois… de la porte d’Italie à l’entrée de la Nationale 7 et, tout au bout plein sud, celle à l’arrivée, la vraie… de la porte d’un placard cadenassant un fantôme pendant près de quatre-vingt quinze ans, de la porte de l’escalier D, D comme l’initiale de son patronyme, patronyme du fantôme dont on retrouva la photo dans un livret de famille… de la porte d’un no man’s land, infranchissable du13 août 1961 au 22 décembre 1989… La Alberca, sa porte et sa serrure sans trou… de la porte bleu outremer, le long d’une rue des Batignolles, quand la porte n’était pas peinte de ce bleu-là… de la porte rose dans Chelsea, du gadin magistral et de l’optique explosé pour s’être intéressé de trop près aux fenêtres du même rose… de la porte du P’tit Café en bas de ses trois marches, odeur de Préfontaines et de cacahuètes à décortiquer, joueurs de belote ou de 4/21 – rémanence de Cézanne, ses joueurs de cartes, Degas et sa buveuse d’absinthe – voix divagantes, corps avachis, ravaler sa peur pour parvenir à la caisse et ses bocaux de Malabar, de Carambar, de roudoudou, réglisse et boules de coco… Gaudí et ses portes, ses fenêtres aussi, inspirer par les portes, souffler par les fenêtres… porte du grand écran et du petit téléviseur, un contre jour, la porte grand ouverte sur un désert rouge, pointant au loin ses doigts, mythique image d’enfance sur un monde inconnu de pionniers… de la porte de Bagnolet, de celle de Clignancourt et du périph le dimanche soir, la porte de Clichy, ses tableaux noirs à volonté pendant les ménages du soir… de la porte verte du cordonnier malaimable mais qui peignait à l’huile… de la grand-porte des grands messes, Montaigne, juste en face, écoutant officier les grands prêtres, sourire énigmatique aux lèvres, jambes croisées, pied doré en avant… de la porte de ma chambre avec ses rideaux rouges, l’index écrasé dans son encoignure un soir d’orage… porte d’une bulle de savon, qui a jamais vu la porte d’une bulle de savon avant que la bulle de savon n’éclate ?… porte en feuilles dans la haie donnant sur un champ de maïs… de la porte de l’épicerie-taxiphone gardant le fil avec son Maghreb d’antan… des portes dont il suffit de dire qu’elles sont dublinoises pour savoir comme elles furent, comme elles sont encore… de la porte du 1406, voisine immédiate de celle du 1380 suivant celle du 1354 s’éloignant à tire-d’aile dans un vol d’étourneaux… de toutes ces portes-là à celle tout en haut de la dune qui donne sur l’Atlantique, tout n’aura été que traversées et zigzags vers d’autres portes encore…

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A propos de Christiane Mansaud

Besoin de passer par d'autres langues - connues, inconnues, pour mieux sentir celle en creux, la redécouvrir, l'explorer de la voix, la réécrire, la modeler, aller jusqu'où il est possible - qui mène l'autre ? mystère...

2 commentaires à propos de “autobiographies #07 | des cha-cha à la mer, points de suspension…”

  1. … merci, Louise, il me semble que cette enfilade de portes pourrait ne jamais s’arrêter, en relisant le tout il y a toujours un détail à ajouter !