hors-série #2 | la pierre

 

C’est la pierre, le mot est entré dans la tête, il ne sait plus quand, et autour de la pierre d’autres mots ; mur du jardin mur de Berlin mur de Jérusalem muraille de Chine, un mot sans division de sens, la pierre à construire la pierre à diviser la pierre à jeter la pierre à enfermer c’est la pierre, il a peur de la pierre, une pierre grise une pierre granuleuse une pierre – une pierre aux côtés égaux une pierre avec son histoire de pierre, un ensemble de pierre des milliers de pierre, posées l’une à côté de l’autre, un ensemble – immense – une place vide – il oublie la place les bancs, il dégage la place, il fait le vide – une pierre et son vide de pierre – un jour la pierre est là, au centre, une pierre seule une pierre isolée, une pierre polie par la pluie le vent, une petite pierre fine et plate, comme de l’ardoise, tranchante une pierre tranchante, une pierre, pas un bijou glissé au doigt, une pierre une arme de pierre, l’image vient avec la pierre – il pense à la montagne il tire de la montagne une pierre, il décroche la pierre la pose là au centre, la pluie arrive, la pierre change de couleur –le vent souffle sur la pierre change sa forme de pierre, il descend dans le mot pour voir ce que la pierre veut dire – il manque quelque chose, il cherche dans le dictionnaire des mots précieux, la pierre aréneuse la pierre argyrique, c’est pas ça – la pierre est enfermée dans son image de pierre, il construit à la pierre plusieurs images, il dessine du sable du vent il dessine un trait bleu pour la mer il dessine un seul trait bleu pour la mer et le ciel, il rompt le cercle mais la pierre reste là au centre – la route est déserte la nuit, il porte sur la nuque la trace de la pierre jetée – la nuit passe, la pierre se tait, autour de la pierre il voit quelque chose – le ciel des grands nuages tirés au cordeau, c’est le matin – il fait quelques pas, il entre dans – reste tranquille sinon – il tremble il perd l’équilibre il perd son souffle, il approche la peur, la peur s’approche, il entend un – un sifflement  un sifflement de pierre un sifflement court, il ne tourne pas la tête – il butte sur quelque chose – la pierre joue à l’aveugle, il court il court il regarde devant lui juste devant lui , ses yeux avalent sans voir , tout ce qu’il y a devant – tout perd sens, la pierre plantée là, les yeux plantés dans l’arbre, la pierre oublie chaque grain de son corps de pierre, la pierre oublie son origine, le vent le sable, depuis longtemps la pierre a oublié – la pierre dort maintenant là – quand la pierre s’éveille , elle ne fait aucun bruit, elle éclate de silence.

A propos de ana nb

Côté travail : formatrice en FLE pour des futurs maçons VRD, des réfugié.es, des exilé.es, animatrice d'ateliers d'écriture (festival POEMA, médiathèque, centre d'accueil de jour, association culturelle) Côté vie : la langue, les langues, le langage, les langages, la parole, la voix animée, une passion : déjà par le théâtre, la peinture, la photographie, puis l'écriture Côté écriture : habiter le temps / habiter l'espace

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