#BOOST #00 | 5°04’57.0″N 1°20’52.0″W – un bout du monde

T’approcher par la ville, c’est d’abord l’océan dont les pêcheurs se défendent d’un long empierrement et leurs pirogues à god first à messi à no one cares, elles ne s’agitent pas elles sont bercées, leur bleu plus soutenu que le ciel, leur blanc plus délavé que les nuages, leurs drapeaux plus fatigués que le vent, t’approcher lorsqu’au loin tu n’es qu’une masse grise signalée de sept palmiers parfaits qu’on croirait plantés dans l’eau – où plongeraient alors leurs racines, sans doute dans tes profondeurs jadis fertiles – et les goélands se détournent de ton ombre on dirait qu’ils savent que tu es une fin en soi, la fin d’un paysage ou de l’histoire, peu importe. C’est toi tu approches tu happes tu attires dans ton silence gris qui, à mesure, pas à pas, à pas, à pas, aspire les distances jusqu’à ce que ton gris lointain révèle l’immaculée, tu voudrais, blancheur de ta façade tournée vers l’horizon et alors tes couleurs livrent un secret bien gardé le blanc, le tien surtout, reste plus sombre que tous les orages qui des siècles durant ont frappé à ta porte mais jamais elle n’a cédé bien gardée, fort tu es. Ainsi tu t’imposes chaînes tendues tu offres ta gueule ouverte blanche ta gueule son haleine de six siècles déversée contre les terres contre l’océan contre l’harmattan contre les sables en fines couches corps après corps et ces canons tendus eux aussi t’entourent, un collier à ton cou, ils sont noirs chantent-ils encore ou sont-ils aphones que racontent-ils leur bouches en rond alignées s’étonnent du silence des eaux tout autour et les pirogues au loin t’ignorent, elles savent pourtant ce que tu as enfoui dans ton ventre et dans l’eau et dans le bateau qui partait voiles gonflées immenses que tu suivais de ton regard sublime et la danse des corps avalés que tu chorégraphiais au petit matin, tout petit matin, chaque petit matin. Tes colonnes. Arrondies ouvertes on entend encore dans le silence qui siffle le long de tes parois les chuchotements avisés, quelques ordres résonnent les entends-tu et dévalent tes escaliers s’épandent dans ta cour intérieure, fumier fumant épais colle les talons on titube encore, encore ici les esprits ivres les vapeurs de l’histoire tu les as emprisonnées et pourtant plus près on voit bien qu’ici, depuis cette perspective l’océan derrière et toi devant, tes murs s’effritent à force de contrer les vagues ou de vomir l’ébène, ton blanc nuptial grouille de vers non-dits et pâlit chaque jour chaque jour, chaque jour car jamais tu n’as répondu à la question que la terre, les corps nus et les ventres vides te posaient Ô Elmina as-tu aimé un jour ?

Elmina_RArmstrong

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12 commentaires à propos de “#BOOST #00 | 5°04’57.0″N 1°20’52.0″W – un bout du monde”

  1. lecture forte, « on titube encore »
    et on se relève, on relit, une histoire de blanc (et c’est la couleur autour de laquelle je tourne depuis longtemps), alors ça se réveille
    retiens « son haleine de dix siècles déversée contre les terres contre l’océan contre l’harmattan contre les sables en fines couches corps après corps »
    merci pour ce lieu lointain entre couleurs et odeurs

  2. texte très dense qui se se rapproche au plus près de la condensation propre à la conscience (inconscience) dont le langage permet le rapport, tu le prouves, mais le plus souvent le refoule. tu dis entre les lignes, dans le corps de ce bâtiment blanc, un condensé d’années, de couleurs, de blanc et de noir, tu t’adresses à ce monument , au lieu de bout du monde, d’histoire , maudit , cette forteresse qui s’impose comme représentante d’Elmina, du village ou de la ville, je ne sais pas. qui la refoule. chaque fois je lisais et j’entendais cette Elmina, elle, s’aime-t-elle ? celle que le fort refoule?

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