L’appartement est un mystère jamais exploré jusqu’au bout. Un labyrinthe, des pièces collées les unes aux autres. On entre d’un côté ou de l’autre du pâté de maison. Moi, toujours par la boutique à l’enseigne évidente : PHOTOGRAPHIE, lettres métalliques sur fond noir, police à empâtement. Une photo de lui dans l’encadrement de la porte, prise en 1970, immortalise à jamais la façade.
Photographe. C’est ce qu’il est. Le magasin n’en est plus un depuis longtemps. On le traverse, juste la place pour passer. Il y a stocké des choses et des choses, objets, vieux appareils, tirages numérotés, morceaux divers… C’est une brocante où rien ne serait à vendre. La pièce, derrière, est celle où il reçoit. Quelques meubles bringuebalant, des livres. Il laisse un petit canapé, choisit une chaise, offre un porto, ou un thé.
Le verre en cristal est gravé de motifs géométriques. Minuscule, une sorte de dé à coudre sur un pied d’une finesse exagérée. Pris entre deux doigts, il menace de se briser sous la pression. Il n’est pas l’heure d’un porto. Il n’y a pas d’heure pour le porto.
Au-delà, sa pièce de travail, son ordinateur, une porte plus loin encore son atelier. Un jardin d’hiver, une cuisine, un autre salon, un atelier de peintre à l’étage, un labyrinthe, sans doute des chambres, aussi. Une porte enfin s’ouvre sur une autre rue, de l’autre côté du pâté de maisons.
On parle. Ses yeux rivés sur soi, ou perdus dans l’air à mi-distance lorsqu’il se souvient. Ce sont des nouvelles de la famille. On se voit peu et il veut savoir comment untel ou unetelle vont. Ce qu’ils font. Ce qui nous unit encore, ce qui nous réunit toujours. C’est plus qu’une demande d’usage, comme s’il fallait savoir comment vraiment ils s’accommodent de la vie.
C’est un peu plus profond que la surface des choses. Ce qui fait un photographe : ce qu’il y a juste derrière, que personne ne voyait et qui est là, d’un coup, évident, remonté à la vue de tous.
Il me demande si je vais bien. Impossible de se contenter des banalités qu’on sert d’ordinaire. Il veut savoir. Et pourquoi oui, ou non. Ce qui fait faille et ce qui fait fondation. Il sait les siennes et ne les cache pas.
Il me dit : « Il faudrait peut-être ».
Photographe, c’est ce qu’il est… ce qu’il est au devant, au dedans, tout plein de perspectives… tout comme sa relation à l’autre – impossible de se contenter des banalités qu’on sert d’ordinaire / ce qui fait faille, ce qui fait fondation… le photographe montrant ce qui est au dehors pour dire ce qui est au dedans… tout me parle dans ce texte !