Avant qu’elle n’arrive, alors qu’elle conduisait toujours, sa Mazda cabossée, vert pin, entre les chemins boisés qui mènent vers la mer, avant qu’elle n’arrive, et elle n’était pas vraiment sûre d’y arriver, les yeux brouillés par l’amertume et la douleur, les lèvres scellées par l’horreur, ses doigts serrés sur le volant, devenus blancs, le sang semblait l’avoir quittée, plus rien ne semblait circuler en elle, plus rien de vivant, seulement l’aigreur de la bile, elle ne sentait plus battre son cœur, son ventre avait pris le relais, il se tordait, palpitait, tiraillait, criait, élançait, elle se sentait animal, elle accélérait, elle voulait à la fois dérailler et s’arrêter net, elle voulait à la fois se projeter vers l’avant, toujours plus loin, et se laisser échouer, parterre, au sol, face contre bitume et ne plus jamais bouger, elle voulait mourir. Elle ne voulait plus voir le soleil en face, elle ne cherchait plus à en voir la lumière, ses yeux étrécissait à mesure qu’elle roulait, ses cils broussaillaient l’horizon, une envie de vomir grondait en elle, elle sentait ses glandes saliver, cette acidité qui arrive juste avant de tout cracher, elle ne pouvait pas croire encore qu’elle venait de perdre son père, qu’il vivait toujours mais qu’elle le perdait, qu’il n’existerait plus à partir d’aujourd’hui, qu’il était la source de sa vie et qu’il était la mort, que personne ne lui avait jamais dit non et qu’il était l’heure, depuis bien trop longtemps.
codicille : j’ai repris « ne plus regarder le soleil en face » et « pourtant petite fille du soleil » et « le besoin de dire non », j’ai essayé d’écrire un petit peu ce qu’il se passe avant ma #1. Un exercice assez difficile pour moi, j’ai pris beaucoup de temps pour me mettre enfin à écrire, je ne sais pas, quelque chose m’échappe.
En voilà un texte qui remue à tous les sens du terme ! La douleur a expédié l’humain très loin et dès lors s’exprime à travers la chair, les entrailles, une forme d’animalité très crue. En vous lisant, je pense au poème de Baudelaire « Une charogne ». Oui, quelque chose vous échappe, mais à nous aussi, lecteurs : cette chose, c’est peut-être la mort – qui peut la dompter ? -, c’est peut-être aussi l’écriture qui nous échappe et c’est tant mieux car, même si le sujet est difficile, j’ai pris beaucoup de plaisir à vous lire !
Merci beaucoup ! Je l’ai étudié avec mes élèves il y a moins de deux mois (Une Charogne), c’est peut-être resté sans que je ne m’en rende compte. Et c’est drôle car « Sultana » c’est l’un des prénoms que j’ai en tête pour le texte dans lequel s’inscrirait ce passage. Merci !
Votre texte se lit sans reprendre son souffle, on est suspendu. On vibre de toute cette douleur compacte.
Merci beaucoup ! Vraiment …