Des bords irréguliers, pas dentelés mais arrondis, comme du papier déchiré. Les angles légèrement abîmés. Papier cartonné mat piqueté de tâches. Moucheté. Sépia. Teintes passées. Un homme jeune se tient debout. Sa main droite est posée sur le dossier d’un fauteuil en bois ouvragé, arrondi, coussin de velours, bois sculpté, têtes de grotesques sur les accoudoirs et au centre du dossier. Le corps de l’homme jeune est positionné de trois quart. Seule la tête est de face. Regard droit et morne. Cheveux coiffés en arrière, petite moustache. Attitude simple. Bras gauche le long du corps. Il ne porte aucun objet. On discerne à peine qu’il porte une alliance. Il pose devant un fond blanc. Sa veste de costume en toile de laine épaisse porte un matricule au niveau de la poitrine à gauche. Grande étiquette blanche dont on ne discerne pas les inscriptions. Cinq boutons. Quatre poches horizontales, deux au niveau de la poitrine, deux au niveau des hanches. Le pantalon est rentré dans de grandes chaussettes qui lui arrivent jusqu’aux genoux. Bottines de cuir, avec bout de pied renforcé. Son cou est masqué par ce qui semble être un grand col blanc resserré, sans bord, à moins que ce ne soit un foulard. Deux broderies sur les pointes du col de la veste : des inscriptions chiffrées. A gauche, III en chiffre romain, à droite un numéro à deux chiffres. Il faudrait une loupe pour les lire. Au dos de la photo, on découvre que le portrait a été tiré en carte postale comme cela se faisait à cette époque. Tout en haut au centre, il a écrit : « Gefangenenlager Langensalza». A la ligne à gauche, dans l’encart du message : « Adonis H…, Caporal, 51eInfie– N°1890 – 4ecie ». Un grand trait en dessous, puis le message suivant, d’une fine écriture soignée : « Le 13 Août 1917, Bonne santé, Vous embrasse tous. H… ». A droite dans l’encart des destinataires :« Kriegsgefangenen. Sendung. Madame Veuve H.-B. Et Monsieur B. A Châtillon-en-Dunois par Courtalain. France (Eure et Loir) ». Sur le côté gauche, à la verticale, est inscrit en caractère d’imprimerie : Atelier Rembrandt G. m. b. H. Erfurt, Neuwerkstr. 9. Fernsprecher 3090.
Petite photo en noir et blanc aux bords crénelés et marge blanche. Papier brillant et épais. Au premier plan, trois silhouettes : deux femmes et une fillette. Toutes les trois en robes. En-dessous du genou pour la plus âgée, au-dessus du genou pour la plus petite. En premier sur la droite, s’avance la femme la plus mûre, la trentaine environ, bien en chair, bras et jambes arrondis, vêtue d’une robe blanche resserrée à la taille, longueur mi mollet, manches au-dessus du coude. Elle porte aux pieds des chaussures blanches à bride. Dans sa main droite un chapeau de paille à larges bords, assez plat et avec un grand ruban noir à la base de celui-ci ainsi qu’une grande et mince pochette blanche en cuir. Sur le corsage de la robe blanche non décolletée est accroché un brin de fleurs à l’allure printanière. Cheveux ramassés en arrière sur la nuque, avec une raie sur le côté droit. A son poignet gauche un bracelet blanc et rond tombe élégamment sur le dessus de sa main. Regard droit, léger sourire, visage épanoui, sa tête est légèrement inclinée en direction de la jeune femme au centre. D’au moins quinze ans sa cadette, voire plus, elle a plutôt l’allure d’une jeune fille. Toute mince et d’une féminité plus maladroite, posture plus anguleuse. Elle porte une petite robe fleurie semble-t-il, avec un ceinturon doré ou argenté à la taille. Robe légèrement plus courte que son aînée. Le petit col ovale du corsage à boutons de sa robe se ferme au moyen d’une broche sombre. Petites manches légèrement ballonnées au-dessus du coude. Elle porte une pochette de cuir sous le bras gauche, légèrement replié, ainsi que son chapeau de paille à la main, posé devant elle, sur sa cuisse. Petit bracelet blanc à la main droite. Son bras droit retombe tout droit sur les côtés de son corps dans un mouvement d’élan vers l’avant. Sandales de cuir blanc, fermées au bout. Tête légèrement inclinée vers la femme plus mûre. Elle porte un petit carré ondulé coupé sous les oreilles. Expression plus serrée, petit visage. On ne saurait dire si elle sourit ou si elle est concentrée sur quelque chose à moins que ce ne soit sur la personne qui prend la photo. Enfin, sur la gauche, la fillette d’environ 8 ans, toute mince, avance les bras repliés dans son dos, mains cachées dans le bas du dos, dans sa petite robe blanche au-dessus du genou, socquettes blanches dans sandales noires, petit nœud blanc à la taille et petit boléro de dentelle blanche. Elle porte son chapeau blanc sur la tête. On imagine le ruban qui tombe sur l’arrière du chapeau. Petits cheveux ondulés et coupés au-dessus des oreilles. Elle avance légèrement son visage et sourit à la personne qui prend la photo. Image sympathique et élégante, elles marchent toutes les trois sur une vaste promenade au bord de ce qui semble être un lac. Un peu derrière elles et sur leur gauche, un homme en complet sombre, le nez haut, promène une longue poussette avec un enfant installé dedans. Loin derrière elles un autre groupe de trois femmes qui marchent avec, elles aussi, un enfant dans le même genre de poussette. Une longue balustrade à croisillons en fer forgé chemine le long de la promenade. Des réverbères jalonnent la balustrade. On distingue le lac derrière, avec quelques embarcations et au loin une voile à demie ouverte. En fond, à peine visible, la silhouette pâle des montagnes qui se dressent comme directement surgies du lac. Au dos de la photo, seule l’inscription « Annecy » est annotée au stylo à bille bleu, avec une écriture régulière et légèrement emportée. Pas de date, pas de noms. Photographie d’avant-guerre (la deuxième).
A la plage. En noir et blanc. Bords crénelés. Petit rectangle avec grandes marges blanches et petit cadre en relief au centre de la marge. Papier brillant et souple. L’une représente trois enfants assis dans l’eau d’un grand bassin de sable édifié sur la plage. Une femme se tient debout, à côté des enfants, toute en blanc, petit short blanc et chemisier manches courtes noué à la taille, style fin des années 50. Elle sourit. Cheveux permanentés. Elle semble avoir construit le bassin et le petit dôme de sable au centre de celui-ci en compagnie des enfants. Une petite fille d’à peu près 6 ans est assise bien droite à côté d’elle et du monticule de sable. A leur droite sont réunis autour d’un beau voilier d’environ 50 centimètres de haut deux garçons d’environ 9-10 ans. Le bassin est rempli d’eau. Leurs corps assis et torses nus sont immergés jusqu’au-dessus du nombril. On distingue derrière eux une petite tranchée servant à recueillir l’eau de la mer descendante. Les murets de sable ont été bâtis à la main, à l’aide de la grande pelle plantée derrière la petite fille, à côté de la femme adulte. Seules elles deux sourient. Les garçons plus gênés par le soleil ferment un œil sur deux. Devant eux, sur le sable mouillé, se dessinent leurs reflets déformés. Bouts de corps tronqués et brouillés par les reliefs du sable encore chargé d’eau de mer. Au fond de la photo se dessine tout un alignement de cabanes blanches, ouvertes ou fermées, une bonne trentaine faisant front au rivage. Entre les cabanes et le sable, un large cordon de galets. Pour arriver aux cabanes il faut gravir cette langue de galets qui monte sur environ deux mètres de haut depuis le sable. Au ras des galets, toute une foule de baigneurs, d’enfants ou de personnes en habits de villes. Des groupes d’enfants jouent au ballon. Derrière les cabanes apparaissent les immeubles et les maisons. Au dos de la photo, est inscrit à l’encre noire : Le Havre plage. Sur l’autre photo, trois femmes posent à l’intérieur d’une cabane. Légers bords blancs crénelés. Papier brillant et souple. Format carré. L’image est un peu abîmée. Quelques marques de pliures. La marge supérieure de la photo semble avoir été découpée. Les deux pans de rideau mal fermés laissent deviner le mur du fond de la cabane. La cabane est en lattes de bois blanc. Des sacs à mains blancs ouverts sont posés sur une table recouverte d’une nappe à carreaux. Une veste est suspendue au mur de droite. Les trois femmes sont côte à côte. Celles de droite, la soixantaine, porte une longue jupe claire et un tricot à manches courtes sombre. C’est la femme en blanc de la photo du lac d’Annecy. Elle sourit, cheveux blancs, courts et permanentés, elle regarde l’objectif. Elle porte un collier de perle et des lunettes en métal. Au centre la jeune fille porte un polo blanc à manches courtes, un long sautoir avec quelques grosses perles, les cheveux coupés à hauteur des épaules. Elle regarde l’objectif en se serrant la lèvre inférieure. Toute à gauche, la quarantaine environ, la troisième femme est semi-allongée dans un transat, les jambes serrées et légèrement de côté. Un de ses pieds est relevé comme en signe d’inconfort. Une jupe à carreaux, un tricot blanc avec col montant, et un gilet de laine manches longues à boutons dorés. Cheveux courts, elle a les yeux mi-clos ou regarde vers le bas, sur le côté. Ses mains se touchent délicatement sur ses hanches. Un des bras nonchalamment posé sur l’accoudoir, l’autre sur les cuisses. De longs doigts fins. A sa main droite une bague avec une longue pierre sombre. On reconnaît le visage de la petite fille du lac d’Annecy. Sur la gauche le battant de la porte de la cabane est ouvert. On ne voit rien d’autre que ce qui se passe à l’intérieur de la cabane. Au dos, inscrit au stylo bleu : La Plage Juillet 1970.
C’est la photo d’une photo tirée de l’album 1972. Couverture de papier tressé vert devenu jaune sur la tranche. Une grande photo noir et blanc en 15×20. Un couple bras dessus bras dessous pose devant les petits jardins à la française d’un imposant édifice XVIIIème. Sur la gauche de la photo, la rue : un combi Wolkswagen clair et sur le trottoir des silhouettes de femmes aux cheveux longs et raides, vestes cintrées et pantalon pattes d’éph. Au premier plan et au centre, les deux silhouettes longilignes du couple. Elle, toute habillée de couleurs claires, un foulard noué autour du cou, sac à main sur l’épaule et veste dans la main droite, légèrement déhanchée, elle sourit. C’est la jeune fille de la photo de la cabane qui se mordait la lèvre. Lui, pantalon noir et veste noire, chemise blanche, mal à l’aise visiblement dans l’exercice de la pose, regarde au loin, main dans le cou de sa fiancée. Lumière éclatante d’un après-midi ensoleillé.
Une page d’album photo avec spirale en fer. Trois photos en couleur collées sous un volet en plastique transparent. Une date au centre : 14.11.1982. Sur celle du bas, une enfant de 3 ans est assise sur le canapé avec une femme qui semble être sa mère. Tenues du dimanche : robe en velours rouge, col de chemisier blanc et gilet en jacquard blanc et gris pour la petite fille. Cheveux coupés au bol. Sa main droite est posée dans la paume de sa main gauche. Sa mère porte sa main au niveau de l’oreille de la petite fille, comme pour lui arranger les cheveux. Elle porte une longue jupe en bayadère dans une belle étoffe aux couleurs sombres, un pull-over à col roulé et manches chauve-souris vert forêt. Cheveux au carré bruns légèrement ondulés. Elle porte une longue chaîne en or. Elles sont assises sur le canapé en velours rouge, sans poser. Un tapis à leur pied. On aperçoit le bas d’un grand miroir au cadre ouvragé et doré. Une plante est posée en hauteur, longues branches fines, feuilles fines. Le tout faisant l’effet d’une chevelure broussailleuse. Au pied, de grands œillets en fin de vie dans un vase. On devine une grande porte-fenêtre derrière un grand rideau en voile de coton. Sur les deux autres photos, les meubles du salon, mal cadrés. Sur la première : un autre bouquet d’œillets orangés sur une enceinte noire et à côté, un meuble à vitrine en bois. Dans la vitrine à trois étages trônent différentes pièces d’argenterie : cafetière, pot à lait, théière, timbales de baptême… à côté du meuble une peinture sombre sans cadre représente une vieille femme aux allures de paysanne. En-dessous une veste en laine beige posée sur le dossier d’une chaise en bois. Sur la deuxième photo, la plus mal cadrée, on voit une horloge ancienne en bois et cadran doré, un abat-jour rond en papier blanc, une petite gouache représentant une nativité avec anges et bébé dodu et enfin, la télévision. Etincelle du flash sur l’écran. Sur la télé sont posés un tourne-disque et un bouquet de statices violets. Ce qui frappe sur cette photo c’est le grand espace blanc sur la gauche : le voile de coton occupe la moitié de la photo. L’intention était sans doute de placer l’horloge au centre de celle-ci.
Un grand album en cuir marron avec un cadre doré. Pages reliées. Etiquette 1993 sur la tranche. Photos noir et blanc format 10×15 collées avec pastilles aux quatre coins. Un voile en papier entre chaque page de l’album pour protéger les photos. Cinq photos en noir et blanc. Campagne en hiver. Arbre sans feuilles, ciel uniformément blanc et nuageux. Champs et bord de route. Trois enfants. Deux garçons, un brun et un blond, vraisemblablement du même âge, environ 7 ou 8 ans, et une jeune fille, environ douze ans. La fille porte un gilet à zip cintré en laine épaisse sur un pull clair à col roulé, jean noir droit et près du corps, Doc Martens montantes noires à lacets. Sur une des photos elle pose au bord d’une route, un caméscope vissé sur l’œil droit, bras gauche détendu, jambes dans une légère fente latérale comme pour capter la sortie imminente d’un bolide au coin de la route. Sur les autres photos, elle apparaît avec toujours le caméscope en main, posé sur le ventre, martingale autour du cou. Les deux garçons posent avec leurs vélos. VTT et vélo de ville blanc. Pull en laine, col de chemise, pantalon de velours, bottines montantes à lacets. Pose acrobatique sur le porte bagage. Grand geste de la main pris sur le vif. Oreilles de lapin et langue tirée derrière la jeune fille. Pose Michael Jackson sur le goudron maquillé de terre, main sur la cuisse pour ne pas toucher l’entrejambe. Pose douce et légèrement déhanchée de la jeune fille dans le champ boueux. Bras croisés, main sous le menton et tête penchée avec derrière le garçon blond qui tente de faire avancer son vélo dans les flaques d’eau et les grands sillons de boue durcis par le froid.
Album en cuir vert avec cadre doré de l’année 1997. Photo couleur aux teintes beiges. Photo panoramique d’un édifice à trois étages ouvrant sur un grand parking en goudron. Construction des années soixante ou soixante-dix. Revêtement couleur sable. Au crayon à papier l’annotation suivante : Coutances institution Guérard. Sur la droite quatre noisetiers, feuillage vert tendre. Soleil. Ombres allongées des arbres qu’on ne voit pas à gauche. L’édifice comporte neuf double fenêtres sur chaque étage. Donc 27 ouvertures. Une large porte noire au centre, surmontée d’une épaisse croix en béton. Au fond du grand parking vide pose une jeune fille devant un grand break Mercedes couleur verte. Habillée en noir, pantalon noir, haut noir. Et une veste en cuir beige des années soixante, col pelle à tarte, gros boutons en cuir de même couleur, Doc Martens bordeaux à lacets jaune. Elle pose debout les mains dans les poches. Longs cheveux bruns. Toute petite silhouette fine et légèrement inclinée sur le pied gauche.
Codicille : J’ai choisi des photos de famille et tenté de redescendre les générations. J’ai choisi des photos que je ne connais pas ou très peu pour éviter rigoureusement d’y mêler mes souvenirs et ce que je sais de chacun. N’écrire que ce que je vois, et jamais ce que je sais. J’écris comme j’entre dans la photo, en suivant les étapes de ma découverte, avec une rigueur presque scientifique. Je me concentre sur les détails, au risque de m’y perdre. L’accumulation des détails, je crois, peut ainsi créer des récits.