Lundi 27 septembre 1976
Le lundi 27 septembre 1976, il y a eu 48 tremblements de terre. Ce n’est absolument pas notable. Mais quand je tape aujourd’hui la date dans un moteur de recherche, je tombe sur le site sismologue.com et la place du site dans la liste de résultats me fait alors croire que c’est un fait saillant, le nombre de tremblements de terre, ce jour-là. Le nombre de tremblements de terre varie en fait, chaque année de 500 000 à 1 million soit plus de 2 700 séismes par jour. Le monde me semble pourtant bien stable ce jour-là, maintenant que je tiens bien debout dessus. Les poules Pâlotte, Piquette et Charles Trénet rentrent dans la cuisine, maman les chasse de la main. Elle mixe du jambon, me prépare à manger. Il fait encore chaud dehors après l’été brûlant qui a roussi la campagne. Mon impétigo sur la joue est en train de guérir, la plaie rétrécit. La chienne gobe les mouches. Le nombre de chômeurs en France est sur le point de dépasser le million.
Samedi 27 Septembre 1986
554 jours que sont détenus Marcel Carton et Marcel Fontaine, 496 jours de détention pour Jean-Paul Kauffman et Michel Seurat, 203 jours pour Aurel Cornea et Jean-Louis Normandin. Et 143 jours pour Camille Sontag. Le matin, je fais mes devoirs et écoute Radio RVS, j’enregistre les Rita sur une cassette, je note au stylo ensuite le nom de la chanson sur l’autocollant de la cassette, C’est comme ça, j’écoute et je ne comprends pas tout. L’après-midi, il faut arrêter de regarder Starsky et Hutch pour aider à gauler et ramasser les pommes les Boscop, Cramoisie de Gascogne, les pommes à cidre, les Teint frais, les Sans Pareil de Peasgood, les Melrose, les Ontario, les Fenouillet gris, Les Pigeonnets de Jérusalem. On ne peut pas regarder L’homme qui tombe à pic. C’est la corvée des mois de septembre. Ça dure des heures, dehors, et on stocke dans des cageots les pommes par centaines et l’odeur de va flotter ensuite longtemps dans le froid du couloir. Le lendemain, on passe à l’heure d’hiver, il faut reculer sa montre d’une heure. Ils le rappellent à la télé. Tous les ans c’est pareil, on se pose la question, c’est dans quel sens déjà qu’on règle les montres, on va dormir plus ou moins ? Ce soir-là, je trouve que Pierrette Bresse aguiche Bernard Rapp, son œil brille en annonçant ses pronostics du tiercé du dimanche.
Dimanche 27 septembre 1998
J’écoute Music sounds better with you de Stardust dans la BX grise. Je me prépare à partir mais on profite du dimanche pour aller au PMU faire un tiercé dans une fausse décontraction. Je mise sur le 6 gagnant, comme d’habitude. La vérité c’est que j’en mène pas large. J’ai trouvé facilement ce boulot, ça m’a donné l’illusion que ça allait continuer à être facile. Je viens de valider mon diplôme, le web existe depuis moins de dix ans, et aujourd’hui c’est le lancement de Google. Pile au moment où je termine mes études. Ça arrive trop tard pour m’aider dans mes recherches pour mon mémoire, le temps que j’ai passé dans les livres, dans les fichiers en bois des bibliothèques… On apprend qu’Helmut Khol est battu, ce grand bonhomme solide qu’on pensait là pour toujours. L’an 2000 arrive et nous fait croire au progrès. Le soir, je pleure dans la cabine téléphonique, loin de chez moi, dans cette petite ville sinistre où il pleut. Plus qu’une semaine avant mon premier vrai boulot.
Jeudi 27 Septembre 2001
On lui caresse le doigt dans la couveuse. Les couveuses sonnent les unes après les autres, en néonat. Il a une semaine et deux jours. On est tous obligés d’oublier vite les tours jumelles, le monde qui se détraque pour ne penser qu’à lui, savoir comment il va s’en sortir, si les poumons gonflent bien comme il faut dans ce minuscule thorax. Mais les avions continuent à rentrer dans les tours, plusieurs fois par jour, dans nos têtes. En boucle. On arrive pas à s’inquiéter de trop de choses en même temps, on est obligés de choisir ou d’alterner, c’est fatigant. L’idée du début de quelque chose n’a jamais été aussi présente dans nos esprits. On n’arrive pas à comprendre que tout cela arrive en même temps. De plusieurs débuts qui n’ont rien à voir. L’idée de guerre. L’idée de risques, de grands dangers.
Jeudi 27 septembre 2007
J’ai fait des photos de mon ventre, du trait foncé qui le coupe en deux. Le temps passe lentement à quelques jours du terme. Neuf manifestants sont tués à Rangoon. Dix morts à Gaza. Le forcené du Blanc Mesnil s’est rendu à la police mais je ne l’ai même pas su, je ne regarde que le trait de mon ventre et j’attends tranquillement la secousse de la douleur. Je me prends en photo. Je ne suis qu’un corps. Je regarde les mouvements sous la peau de mon ventre, j’attends. Je vérifie plusieurs fois que le sac pour la maternité est bien complet. La journée se traîne.
Vendredi 27 septembre 2019
On se réveille avec la gueule de bois. Hier matin, on a appris au réveil qu’une usine de fabrication d’additifs pour huiles, classée SEVESO seuil haut, brûlait à moins de dix kilomètres, sur plus de six hectares. Un panache de fumée noire de 22 kilomètres de long sur 6 kilomètres de large a survolé la ville et l’agglomération toute la journée. Les sols ont été recouverts de dépôts de suie et d’hydrocarbure, rabattus par les pluies abondantes. L’odeur s’est infiltrée partout. Ce matin, on se demande si on doit sortir, on se demande quoi faire. On en a oublié Earth Strike, la planète en grève, avec tout ça. Toute la semaine, les jeunes grévistes climatiques invitent des millions de personne à quitter leur poste de travail ou leur domicile pour rejoindre le mouvement et exiger la fin de l’ère des combustibles fossiles. D’habitude, le vendredi, les jeunes se mobilisent. Le lycée est ouvert aujourd’hui, il se prépare à partir, ne met pas de manteau, comme tous les matins depuis la rentrée, j’hésite à répéter de lui dire d’en mettre un mais je n’ai pas regardé la météo, je ne sais pas s’il va pleuvoir comme hier. Je réfléchis mais c’est trop tard, il a déjà claqué la porte d’entrée.
Comme dit Christa Wolf qui cite Ingeborg Bachmann « le temps en ajournement révocable / est visible à l’horizon / … Des jours plus durs vont venir. »
On n’arrive pas à s’inquiéter de trop de choses en même temps… Comme cela est vrai! Et quand vraiment trop de choses arrivent en même temps, il arrive que l’on suffoque… Parce que c’est vraiment trop… Comment peut-on faire courir aux populations le risque SEVESO?… ou celui d’une contamination radioactive en cas d’accident dans une centrale?… La plupart de ceux qui prennent la décision de faire courir ce risque aux autres vivent loin, bien à l’abri, ou pensent pouvoir quitter facilement le territoire pollué parce qu’ils ont à leur disposition des endroits de repli possible…