A cet endroit précis où l’asphalte de la rue va devenir celui de la route qui sort du village, une explosion de couleurs. Tous les dahlias pomponnent ou éclatent dans la lumière de la mi journée vers laquelle ils se haussent imperceptiblement. A travers la réverbération lumineuse de leurs étoiles on pourrait presque entendre la voix du roi poète qui chantait « Même quand les fleurs jauniront et se faneront elles trouverornt place dans la grande maison de l’oiseau au plumage d’or ». Impossible de ne pas se perdre dans ce voyage du regard fasciné par la floraison de ces bulbes venus des berges du lac de Texcoco et des marchés de Tenochtitlán. Les deux tournesols qui encadrent ce chatoiement de couleurs et qui ont poussé à l’extrême limite du muret de pierres qui délimitent le jardin et qui laissent jaillir, ici ou là, des bouquets de lavande, se sont brûlés à force de vouloir atteindre le soleil, et c’est miracle qu’ils tiennent encore sur leurs tiges. A travers la végétation, sous la ramure d’un prunus vient briller fugacement un éclat de verre qui semble faire écho aux voix qui résonnent sous un auvent caché par d’autres arbustes. La façade de la maison apporte un contrepoint terreux à toute cette végétation. D’autres maisons s’étagent en haut du jardin mais finissent par se dissoudre dans les rayons du soleil qui font comme deux flashs au milieu de l’azur.
L’asphalte est comme une frontière entre le monde fleuri et celui d’un potager, puis des prés et de la forêt d’épicéas et de feuillus qui croît et s’épanouit à mesure que la terre se redresse en pente douce d’abord, puis en pente plus raide, comme une vague prête à déferler avec sa crête rocheuse sous un ciel traversé par des nuages qui la font paraître plus haute qu’elle n’est.
Le pommier, les granges et le tracteur garé devant, loin de barrer l’horizon, le laissent encore mieux entrevoir. Il apparaît comme un bout d’océan caché par la végétation et la pierre, mais il est bien là et le virage qu’amorce l’asphalte laisse augurer d’autres images encore plus prometteuses et pourtant tout aussi fugaces que celles qu’on vient de traverser.
Codicille :
Je suis passé de nombreuses fois en voiture à cet endroit depuis mon enfance jusqu’à il y a peu. Je l’ai traversé en toutes saisons mais celle où, à chaque fois, j’ai ressenti de l’émotion liée à la force de vie dont il est plein c’est l’été. Pour moi ce lieu est « chargé » d’énergie. Pris par le temps, j’ai commencé un texte qui demande à être remis sur le métier. Impression d’échouer à dire toutes ses sensations et/ou émotions, qui viennent avant tout du corps.
Merci Nicolas pour ton regard sur mon texte et pour le tien dont la beauté m’a saisi, entre l’asphalte et les dahlias. Au plaisir de te lire encore.
Merci à toi! Mais j’ai bien conscience que le chemin sera long car je n’ai pas réussi à exprimer tout ce que je voulais par rapport au lieu que j’ai choisi. Mais c’est ça qui est intéressant dans ces ateliers, le goût de reviens-y! Après plus de trente ans d’autocensure je me lance, c’est déjà ça!
Que j’aime pour ma part cette sensation d’aperçu mais un aperçu qui creuse à l’intérieur de soi, recrute d’autres images « à la frontière » comme cet asphalte qui dit à la fois les limites, les transformations et le retour… C’est l’ouverture amorcée de tant de choses à écrire !