C’est un bout du monde pour certains, de ceux qui ont déjà expérimenté le grand saut.
On y accède par un escalier de pierres qui semble, sous la chaleur écrasante de l’été, être déjà une sélection de ceux qui méritent de pousser la grille où rouille et blancheur jouent à gagne-terrain. Suivant les affinités de toucher, la main ne craignant pas les éventuelles piques de peinture écaillée ou dépôts de marbrures rousses et noirâtres, pourra d’un mouvement souple et sans résistance ouvrir le portail ; tandis que celle qui choisit une zone lisse de peinture d’origine ou fraîchement rebadigeonnée infligera au silence du lieu à peine troublé par quelques pépiements d’oiseaux un grincement annonciateur de semelle foule-poussière. Libre à chacun de choisir son type d’arrivée, pour son entrée dans cet entre-mondes.
On peut y croiser de leurs proches, déposant dans des gestes furtifs des offrandes directement au sol, esquissant des gestes dans l’air , effleurant leur coeur et les pierres, avant de lever les yeux vers le ciel et arrêter le temps l’espace d’un instant, puis finir en scellant ce secret échange d’un contact des lèvres à la partie la plus douce de leur main.
Celui qui s’y rend pour la première fois, oscillera sûrement entre la sensation d’être étranger à ce lieu tout en s’y sentant une pièce qui s’intègre totalement dans le décor ; mais changera-t-il de perception après, reviendra-t-il d’ailleurs dans ce bout du monde pour certains ?
Tous les passagers de ce bout du monde pour d’autres auront certainement le regard happé par l’élément mer, juste un peu plus loin, la rivalité des bleus-gris, arbitrée par quelques îles qui font le dos rond. Ensuite la vivacité des lauriers rose et la verdeur des ifs s’opposant à l’opacité des fleurs artificielles dont les couleurs fanent mais qui conservent une architecture végétale éternelle , feront basculer ce regard vers d’autres champs de vision, et lui ramèneront certainement les pieds sur terre.
Et entre ciel , mer et poussière il pourra alors observer les pierres de marbre ou de simple béton, sur lesquelles s’entrechoquent les consonnes et leurs auxiliaires voyelles bien moins nécessaires que dans d’autres langues, afin de marquer le passage de ceux que l’on désigne simplement par leur prénom, rassemblés sous un même patronyme , parfois accompagnés d’un médaillon montrant leur visage , comme témoignage de leur étape, leur passage dans ce bout du monde, dont eux ont trouvé une autre sortie que le demi-tour.
Codicille: Je ne suis pas sûre de l’endroit exact où se situe mon bout du monde, j’ai le lieu bien en tête, il est dans le bon pays, la bonne région mais pas sûre que je n’ai pas confondu deux villes. J’ai beaucoup hésité pour choisir mon bout du monde, ils sont nombreux, mais pour la plupart , j’ai quand même toujours l’impression de pouvoir aller plus loin.. Là-bas j’ai, dans les échos d’une certaine supplique, ressenti pour la première fois le bout d’un monde…