Celle qui tombe à l’eau. Cette fraction de seconde où est initiée la bascule, l’entre deux où le mouvement est enclenché, l’air – l’eau comme deux balles avec lesquelles elle jongle, avec la chute lancée, la surface de l’eau vibrante, coupante. Elle reste au bord à avancer progressivement laissant l’eau recouvrir ses mollets, ses genoux, ses cuisses, le froid monte sur la pointe des pieds, maintenant, les fossettes sacrées. C’est désagréable, cette attente lente, son incapacité à chuter et les vagues qui la lèchent, l’éclaboussent. L’indécision, le compte à rebours toujours repoussé, à laisser trainer ses mains dansle froid bleu. Si elle ne se baignait plus, l’eau prise par la glace, couverte de neige, et tout ses cheveux givrés, blanchis. Ne pas abandonner, toujours ces « ne pas » qui trainent dans les poches. Les femmes du sud qui jamais ne touchent à l’eau, une folie, juste suivre leurs plaisirs. Mais c’est une baigneuse, elle se dit qu’elle le mettra la prochaine fois dans son identité, baigneuse, si un acte est susceptible de fixer. Elle s’avance au bord, le premier bain les autres suivront. Si elle tombe, elle pourra milles choses, qu’il faut reculer les limites, aller vers les profondeurs, que c’est idiot, sinon la journée sera / Bulles/ onomatopées/ interjections/ étoiles/un ours blanc se promène, des phoques à moustaches surgissent/ ligne électrique/ froid qui irise/ plexus solaire polaire/ la femme à la tête d’igloo, sillonnée jusqu’au cerveau/ , dégouttante de froid, tout est emmêlé, brûle, refroidit, compte, 3/4/5 comme on grimpe 10/11/12/ l’escalier, cela va passer 23/24/ attendre au moins 39, rentrer dans l’autre dimension, où le temps perd ses heures, ses minutes, où elle est présente, enfin présente, toute à l’eau, la vapeur lâchée, le bitoniau de la cocotte minute, sur le rebord de la cuisine, délivrée, engloutie. Elle appartient au monde sous-marin, le sable, les kerns de gravettes, les mailles géantes des vaguelettes réfléchies par la lumière. Tout est feuillage, dense, mouvement. Elle traverse le silence, l’ombre mouvante des goémons, les distances abolies à la loupe de l’eau. Ses mains fendent les bulles de l’eau, ruissellent, doigts translucides. Tout est matière, les masses minérales, ombre et lumière. Les cris ont disparus, les yeux grands ouverts dans le silence qui s’égoutte.
Celui qui s’envole au vent quand la maison cogne, gonfle, faseye. Tiré du sommeil par les sifflements de l’érable qui balaie les volutes de la tempête, agitant ses branches chargées de feuillage qui ne vont pas résister aux assauts du vent d’ouest, à la rouée des coups du noroit, du suroit. L’air est repris par la cime des aulnes qui gronde, tambourine. Il monte s’assurer que les fenêtres ont été bien fermés, la lucarne abaissée, descend quatre à quatre, cette fois ci, écoute le volet battre, agité, prêt à rompre, trouve la fenêtre oubliée, l’ouvre, tombe dans le gouffre, aspiré par l’air implacable, se penche pour tenter de rattraper le battant qui s’est échappé, s’arc-boute aux volets qui résistent et ne veulent pas sortir de la main du vent. Les rideaux s’envolent dans la campagne, sa chemise démesurée, bouffie. Il grossit, s’allonge, énorme bibendum Michelin. Referme trempé la poignée, rétréci. Il ne peut pas dormir, pense à la charpente découverte, à la bâche sur le toit qui doit tenir, il faut qu’elle tienne. Il l’entend qui s’affole, tremble, s’envole, grossit comme un spi, c’est la maison qui va s’envoler au vent, le vieux navire gîte dangereusement, tordu. Essoré à chaque ouverture, il écope, sort les bassines, tout ce qu’il trouve comme contenant, va chercher des serre-joints pour rattraper la voilure, rétrécir la toile, au maximum, affaler la bâche qui s’emporte dangereusement. Il profite d’une accalmie pour se risquer à tendre la toile, la bourrasque reprend, augmente, ballonne, enfle, l’emporte, il s’envole au vent arrimé à la toile bleue, rase les érables, traverse les haies, les talus, les fossés, survole la masse sombre écumante, dure comme la roche, dépasse le port aux haubans tintinnabulants, rencontre les goélands qui dérivent dans les courants, esquive les longs bras des éoliennes . Celui qui s’envole au vent connait la météo marine et le vent qui fait battre la ville, le maelstrom qui arrache tout ce qui doit partir, tout ce qui est obsolète, tout ce qui peut être retourné, déblayé, la face des plages sculptée, les murs engloutis sous le sable, les rochers découverts, les ruisseaux déportés, les algues crachées, les arbres penchés qui baissent la tête.
La réversibilité des sentiers qu’ils tracent. Dans le renfoncement, le sombre nuage rentre dans la boite. Elle la glisse par le trou des fusains. Le portail ronge l’humidité. Les ormes s’immobilisent, lentement le virage, le village barré, les gravillons. De l’autre côté, la boite passe. Mer, orties, l’aqueduc, vitrées les baies, les murets. Du côté du garage Renault, soupire dans la vitrine le jeune homme jauni dans son portrait. Le car démarre. Déjà derrière le bord, les circonspectes éoliennes. Il est permis de construire des blanches maisons, crépis gris, brille l’eau des châteaux.
Codicille:
J’ai prélevé les deux premiers syntagmes car ils étaient très visuels et concrets et représentent des illustrations d’un livre d’enfant que j’ai beaucoup regardé avant de savoir lire. C’était donc des décalcomanies faciles à transporter. Cela m’a permis de travailler le fond d’où la mer, l’eau et le vent forment le paysage, sont des personnages à part entière.
Pour m’aider à me lancer, j’ai repris la sentimenthèque et je me suis aperçue que revenaient les termes, regard d’idiot, au fond, en rosace, placer les couleurs, les tensions et voilà pour la mer. Pour le vent, j’avais marqué dans les auteurs aimés, toujours poussé ailleurs, perturbé par les éléments.
Le troisième syntagme, le résultat en fait est le contraire d’une expansion mais un rétrecissement, un condensé de mon premier ilôt, j’ai repris le texte à l’envers et j’ai tout contracté. Je voulais faire comme le bruit des cassettes que l’on rembobine, rapidement et cela fait des drôles de sons. Cela m’a permis de voir les éléments survivants.
Bravo pour ces évocations si sensibles… « la femme à la tête d’igloo » qui s’égoutte de froid… Des images marquantes !
Merci Françoise d’avoir partager l’eau glacée. En parcourant et découvrant vos textes je m’aperçois que nous partageons le même espace, vos algues bubonneuses, les variations poétiques sur l’ondée, et les noms de pays me parlent.