La grande digue de Viana do Castelo, au Nord de Porto, Portugal, qui sépare le fleuve Lima de la rade du port de pêche est une lande de terre bitumée et sale dont on cherche à atteindre la pointe parce qu’on ira bien sûr au bout de cette digue, ce n’est pas le bout du monde, et au bout demi-tour, voir au large, et demi-tour. On y accède en descendant la rue principale, l’Avenida dos Combatentes da Grande Guerra, toute pavée, marbrée, et carrelée jusqu’au fleuve, jusqu’à la place principale de la ville qui s’ouvre sur la berge du fleuve, et sur laquelle on a érigé le monument aux morts pour la Liberté, une arche composée de trois immenses poutrelles à laquelle est suspendue une chaîne brisée, arche monumentale autour de laquelle on a construit deux bâtiments publics contemporains dont un est sans doute la médiathèque et le centre culturel de la ville et derrière lequel se trouve comme un vide, un parking à ciel ouvert, grand espace au vaste quadrillage dessiné de rectangles blancs tous ouverts sur un côté découpant sur le bitume les places où se garer, dessin d’un labyrinthe moderne dans lequel on ne saurait se perdre et qu’on traverse à pieds sans pour autant trop couper de ces lignes blanches parce que naturellement on suit les allées proposer pour les voitures et que ces traces vont aussi en direction du bout de la digue. Le long d’un quai côté port un grand bateau blanc missionnaire, un ancien hôpital des mers, de l’autre côté, le long du fleuve le parking devient route qui longe le fleuve qui donne accès à une série de vastes hangars de stockage et un peu plus loin encore, bien avant le bout de la digue, un terrain vague clôturé à l’entrée duquel, posé sur ce terrain un voilier qu’on avait d’abord peut-être vue de loin, de babord, entre deux hangars, trop haut qu’il était, perché sur sa quille, sa coque à l’air libre, surélevé, soutenue par un trépied de poutres métalliques qui le transpercent, un voilier transatlantique abandonnée sur une terre inhospitalière, exposant aux yeux de tous une coque nue, sale, abrasée, toujours en attente d’une couche de peinture, sa quille plantée au sol, son mat nu, des cordages raides, une baume abattue. À tribord un grand escabeau pour monter sur le pont, un pont de bois désolé, cabine éventrée, mais dessiné sur ce pont une marelle, uma amarelinha de peinture blanche aux cases numérotées de un à huit, avant le un, la Terre, puis sauter un, deux, trois, quatre et cinq, six, sept et huit, Ciel. Marelle. Bateau perdu, marins perdus, le ciel au bout de cette marelle, sept, cinq, quatre et cinq, six, sept et huit, Ciel sur cette marelle, sur le pont de ce voilier à bout de tout, au loin du bout de la digue, amarelihna de là le bout du monde.