Tu la croises à chaque fois que tu te rends à la station de tram. Parfois derrière le bar, parfois assise au soleil avec les clients, le plus souvent contre le battant de la porte d’entrée, les yeux plissés à cause de la fumée de cigarette qui s’envole et qu’elle prend le temps d’apprécier, un café à portée de main. Souvent elle porte un tablier et met des chaussures qui pourraient s’apparenter à des pantoufles. Il t’est arrivé de la croiser pas loin de chez toi, promenant son chien à la tombée de la nuit, ou revenant avec ses courses, sans avoir quitté son tablier ni ses pantoufles. Elle semble habiter dans ce café qu’elle tient depuis des années, bien avant que tu t’installes dans le quartier. Tu te demandes parfois où elle habite réellement, si son appartement se situe juste au -dessus du bar, il t’est même arrivé de scruter les fenêtres à la nuit tombée, de chercher à reconnaître sa silhouette derrière les rideaux légers. Tu t’es parfois dit qu’elle s’était aménagée un clic clac au fond du bar, que ce bar était sa cuisine, son salon, comme cette femme, Anne-Lise, rencontrée lors d’une résidence en Alsace Bossue, au fond d’une forêt épaisse. Tu n’as jamais vu d’homme à ses côtés, ni de femme, pas d’amoureux ou d’amoureuse revendiqués, seuls les corps, des hommes pour la plupart, qui la frôlent, commandant café, demandant plus de lait ou de sucre, achetant cigarettes aussi quand c’est possible. Tu ne sais pas quel âge elle a, elle te semble encore assez jeune, la quarantaine peut-être, à peine, mais c’est comme si d’elle émanait cette sensation qu’elle n’avait pas d’âge, flottant pantoufles aux pieds au dessus-du quartier, surveillant les allées et venues du faubourg national, ayant choisi en définitive d’habiter autant les rues alentours, que l’appartement hypothétique qu’elle possède peut-être, au dessus du café. Son prénom, tu ne le connais pas, tu ne l’a jamais entendu dans la bouche de ses clients.