Je ne comprends pas. Je ne me comprends pas. Je n’aime pas le bleu et pourtant je viens voir, revoir, encore et toujours, tel un pèlerinage esthétique, le « Triptyque Bleu I, Bleu II, Bleu III » de Joan Miro. Sans doute n’y a t-il rien à comprendre, rien à décider, rien à choisir, seulement à accepter. Vivre cette attraction, cette histoire d’amour, et laisser aux spécialistes d’art la considération des œuvres.
Donc dans la salle 24 du Musée d’Art Moderne de Beaubourg à Paris, dans l’espace d’exposition du Triptyque, le rituel débute, le temps s’arrête, la douleur du monde s’éloigne. D’abord je me place face au Bleu I. Je le regarde, c’est mon préféré le Bleu I, avec sa barre verticale rouge vif. Le rouge dans le bleu. Je suis le rouge, enfin un peu. Je perçois sa résonance. Il est le début de quelque chose. De quoi ? Je ne sais pas. Ce rouge pourrait être le début de tellement de choses. Au fil de mes visites je lui attribue différents rôles, il peut partir en voyage parfois, parfois loin. Certaines fois il flotte dans l’air, et moi avec. Ensuite je déplace mon regard vers le Bleu II, toujours. Quel impact aurait le Bleu I, sans la proximité du II et du III ? Le III avec son unique petit point noir, en bas à droite, comme pour fermer le triptyque, clore le propos. Quel propos ? Aucune idée, ce qui compte c’est mon corps dans l’espace grand ouvert par ces trois bleus disposés en U. Chacun seul sur son mur.
Je perçois à peine les visiteurs, le musée, plus vraiment la ville et moins encore la planète où je vis. Au milieu des Bleu I, II et III je ne bouge plus, je reste immobile, contemplative. Inutile de m’agiter ici, il n’y a rien à faire, outre sentir. D’ailleurs je suis venue pour me poser. Pour me laisser aller dans les bleus. Je me reprendrai, ensuite. Je laisse la joie saisir mon regard, nettoyé pour un moment éphémère, des choses laides et terribles. Pour un temps, je laisse l’ailleurs où il est. Après cette contemplation, je repartirai, mais là, je me déleste de ma vie quotidienne, sans un mot, je me dégage de mon trop plein de mots. Je me déverse dans la peinture. Ce n’est que de la peinture. C’est toute la peinture, cet univers esthétique. Face à tant de bleu, je me sens en paix, un certain au-delà s’immisce. Ne me demandez pas ce qu’est cet au-delà, je serais trop en peine de répondre, et maintenant je veux profiter pleinement du plaisir d’être présente ici. Je ne saurais pas répondre que : c’est important ces bleus. Je contemple, je ne pense plus, c’est très suffisant.
Pour avoir l’air sérieuse, je pourrais tenter de développer sur ces trois Bleus qui ne représentent rien. Enfin presque rien, mais j’y vois la profondeur de l’océan. Pas qu’un bleu léger, agrémenté de traits rouges, de ronds noirs. Joan Miro n’a pas la gravité d‘Yves Klein. sans doute a–t-il déposé ses petits points noirs, tels des îles pour sauver les rescapés en mer, une constellation astrale inversée, des points de suspension à la fin d’une phrase. On tire sur ces points noirs et tout vient. Et d’ailleurs si c’étaient ces points et non pas les bleus qui me faisaient venir voir ce Triptyque. Pourrais-je faire un de mes pèlerinages de ces 21 points noirs ?
Belle idée que ce pèlerinage devant le triptyque de Miró. Dans tes pensées, tes interprétations, tes quêtes. Ça laisse rêveur. Merci.