J’ai rendez-vous avec vous aujourd’hui à 14 heures. Vu la chaleur extrême cet été à Duilhac-sous-Peyrepertuse, je serai un peu en retard. Vous, vous êtes à l’ombre des cyprès, sous une terre sèche, rouge foncée. Peut-être pas au frais, mais tout de même, alors vous ne m’en tiendrez pas rigueur, vous serez compréhensifs, envers la vivante que je suis encore. Vous avez du temps. Trop. Vous vous ennuyez parfois, je crois. Ne me dites pas que vous m’attendez avec impatience, je ne vous croirais pas. L’impatience vous a quittée. Vous reste la disponibilité à votre entourage. Ce n’est pas le plus facile, je sais. L’autre jour Albertine me disait qu’elle était lasse de reposer auprès de sa sœur Marie, avec qui elle ne cessait de se chamailler autrefois. Leurs désaccords, leurs querelles se poursuivent dans l’au-delà. Mais comment les réconcilier sans projet commun, sans avenir. Leur famille a décidé pour elles, et ce sera ainsi jusqu’à ce que leurs corps, leurs os devenus résidus, ne forment plus qu’une même poussière, deviennent terre. Après je ne sais pas, mais aujourd’hui j’ai rendez-vous. Clovis Pratx veut me parler, il est tombé amoureux de Basilisse Prat, il voudrait que j’organise un rendez-vous, que j’aille la voir, lui parler dans l’autre allée, pour qu’elle le retrouve derrière la grille, la nuit, pour observer la lune et les étoiles, en un premier temps, ensuite ce sera ensuite, car dans ce petit cimetière de village tout se sait vite. Les arbres, les croix, les plaques commémoratives, les fleurs en porcelaine même, tout le monde observe tout, c’est à dire le peu qui bouge ici, et parfois même, c’est rare mais ça arrive, l’arrivée de nouveaux. Ils ne sont qu’une centaine sur ce pan de terre pendu où on entend les cigales, sous un ciel si bleu, ce jour. Clovis ne m’a jamais parlé de sa vie, de ses activités, ses préoccupations, sa fidélité aux traditions, sa relation à son épouse et ses enfants. Je ne sais rien de lui mais il devait être taiseux et discret. Clovis je vais plaidé ta cause, mais je ne dois pas oublier qu’on m’avait chargée d’arroser la bruyère, dans son pot, encore en fleur, sur la tombe de Joséphine décédée, récemment, enfin en 2016. Le robinet à l’entrée fuit, penser à le signaler à la mairie. Inutile de perdre de l’eau dans cette région qui en manque. Bref, à Joséphine, je dois rappeler que sa vitalité et son doux sourire manquent à son époux, si seul dans sa grande maison qui donne sur le Château, je dois lui dire qu’il en a assez de se sentir abandonné, assez de vivre, qu’il voudrait la revoir, la retrouver. Trois heures sonnent au clocher. Il fait très chaud, je me reposerais volontiers un peu, auprès de vous tous. Je m’assiérais sur les épines de pin, dont j’aime tant l’odeur, j’écouterais les mouches dans vos silences si parlants. On doit être tranquille ici, c’est un joli cimetière, on doit pouvoir parler paisiblement, penser aux choses importantes de la vie, échanger intelligemment, même si parfois quelques motos bruyantes passent sur la route en contrebas. Mais si chaque mort présent me charge de poursuivre le lien avec les siens, de pourvoir à ses récriminations et désirs, je risque de me prendre à ma fonction, de n’avoir plus le temps de préparer les prochains à venir. Pas ici, car je ne suis pas venue en tant que professionnelle de, mais comme épouse de Benjamin, l’arrière petit fils de Clovis. Mon époux, a rêvé de lui, de sa demande d’amour inassouvie. Alors je suis venue concilier, comme convenu à 14 heures malgré la chaleur.
très beau comment la vie et la mort se mélangent, l’avant et l’après
et toujours le désir, l’espoir d’un rendez vous…
je garde en moi : « on doit pouvoir parler paisiblement »
(merci pascale)
Je suis encore de me débattre avec la mise en ligne de la photo que je reçois déjà votre écho. Merci Françoise de votre attention.
Merci Pascale pour ce beau texte et pour le rôle de conciliatrice de la narratrice !