La ville, toujours la ville. Pourquoi la ville ? Pour y habiter avec des vivants (pas que mais), y vivre des événements (je ne questionnerai pas ici la notion d’événement, ce n’est pas le lieu), mais moi je ne me souviens pas des rues, des bâtiments, des places, des fleuves dans les romans que j’ai lus. D’ailleurs je ne me souviens pas des romans que je lis. J’exagère à peine. Je sais, ma bibliothèque me constitue, même si c’est moi qui l’ai constituée. Je m’égare un peu. Mais je ne me perds pas dans les villes. La ville, je l’aime, la pratique, la parcours, la vis, la vois, la ressens, mais je n’en retiens pas les descriptions des auteurs, seulement l’impact qu’elles procurent aux protagonistes des histoires. Je ne garde que l’impression qui, elle, demeure ancrée dans ma mémoire, particulièrement amnésique.
Plus je repense aux décors urbains des scènes qui m’ont marquées, car tel est le sujet, plus je les isole de leur environnement, même s’ils sont déterminants, et pas que pour l’auteur. Toutefois pour en venir aux faits, je pourrais évoquer les seuils des magasins de « Debout Payé » de Gauz, avec ces vigiles africains, si souvent assimilés à des portiques hostiles, la cuisine minuscule comme espace de lutte personnelle pour survivre, d’où sortent de merveilleux plats dans « Mangez-moi » d’Agnès Desarthe, le studio aux murs jaunasses et au plafond bas où loge Sacha à son arrivée dans une ville du Sud (pas nommée) dans « Par les routes » de Sylvain Pruhomme.
Et puis les baies vitrées, toutes les baies vitrées, isolées du reste du monde. Les baies vitrées près desquelles les héroïnes, et pas que Lol V. Stein restent, en souffrance, en désir, en superbe. Marguerite Duras. Encore (je sais, je l’ai déjà évoquée hier). Elles, les baies vitrées comme limite infranchissable, je les ai intégrées. Elle et elles. Elles m’ont marquées ses personnages, pas leurs villes. Pour continuer sur les vitres, je pourrais passer à l’habitacle de la voiture dans laquelle Emanuèle Bernheim conduit son père en Suisse dans « Tout s’est bien passé ». Huis clos avant l’euthanasie. À moins qu’ils partent en train…
À croire que ma perception de la ville serait restreinte à des espaces privatifs, intérieurs, fermés, de préférence exigus. Et parmi les tout petits lieux de vie, le centre d’une éolienne dans « Envoyée Spéciale » de Jean Echenoz, où une otage sympathisera avec ses kidnappeurs, qui s’ennuient encore plus qu’elle. J’aimerais bien me souvenir du Casino des malfaiteurs de « L’absolue Perfection du crime » de Tanguy Viel, mais ce n’est que le costume violet d’un des loseurs que j’ai retenu. Et encore je ne suis pas sûre qu’il soit de cette couleur-là. J’aimerais bien trouver un bistrot parmi les romans de Pascal Garnier, mais ce n’est que d’une piscine dans un club de vacances dont je me souvienne (et une piscine en ville, à part les piscines municipales, et je n’en revois aucune dans ce que j’ai lu), une piscine où il se passera de drôles de choses, comme toujours dans son univers déglingué. Et puis, là je suis en vacances, une piscine me tend les bras comme on dit. Oui je me défais, pour un temps, de toutes ces géniales potentialités d’activateur d’imaginaire littéraire, ou plutôt de toutes les représentations romanesques que j’ai intégrées, qui pourtant m’ont poussée à aller voir ailleurs. Oui, à partir comparer avec le réel. Mais là je vais me baigner.
Je partage votre opinion sur les villes en littérature. Sans les personnages, je les vois à peine. Mais je vais quand même suivre la consogne, tout comme vous. Merci de ce texte !
je ne retiens pas grand chose moi non plus de mes lectures sinon d’infimes secousses qui comptent plus que la matière elle-même
merci aussi pour ce texte qui me parle…