Aujourd’hui il traverse la place, comme tous les jours, pour s’acheter une formule sandwich/dessert/boisson, à la boulangerie près du Théâtre. Il aime bien la vendeuse. Elle est souriante. Lui timide, alors il ne fait que demander ce qu’il veut acheter. Sans rien ajouter. Enfin si, parfois il s’offre une pâtisserie en plus de la formule. Elles ne sont pas grosses les pâtisseries arabes qu’il achète. Pas comme lui. Enfin c’est ce que son collègue lui répète, qu’il devrait maigrir, car pour un réparateur de bicyclette, même si on est à Montreuil, même si la clientèle est tolérante, même si ce n’est pas un boulot de représentation, il n’empêche, peser 120 kilos ou presque, ça ne facilite pas les relations avec les cyclistes. Les cyclistes ne sont pas gros.
On est fin juin, le 30 exactement, il pleut sur la Place de la Mairie, qui s’appelle autrement mais que tout le monde appelle ainsi. Lui aussi parle de la Place de Mairie, mais ce n’est pas la question. Il repense au soleil de la veille, à l’animation. Hier, la Place ne ressemblait pas à celle de tous les jours, avec ses passants habituels fatigués de trop travailler ou de trop attendre d’en avoir du travail. Hier, il est passé vite fait, il y avait des stands et du monde partout, des gamins, des femmes pas très jeunes, quelques hommes aussi mais ils étaient plutôt du côté des stands dressés avec leur badges. Faire du sport semblait le slogan. Aujourd’hui le diktat de bouger, de bien bouger, de faire du sport, de bien manger, de bien ceci et bien cela a disparu, et cela ne le place plus du mauvais côté. Ça fait du bien de ne pas se sentir en tort.
Aujourd’hui, il traverse la place, comme tous les jours, de son bon droit. Il mange son sandwich, assit sur un banc près du manège, comme s’il s’occupait d’un enfant, alors qu’il n’en a pas. Il regarde l’hélicoptère, l’éléphant rose ou la soucoupe volante tourner. Il a fini son Coca-Cola. Il a encore soif, il en prendrait bien un second avant de retourner à l‘atelier réparer ce dérailleur. Mais » Faut pas dérailler « lui dit sa mère, un seul soda le midi. Pas deux. Il ne lui pas tout, et heureusement à l’âge qu’il a. Sur la place près du cinéma, à côté de lui, trois ado jouent au ballon. Il les envie d’être jeunes, de courir et sauter ainsi. Bien haut, avec facilité, grâce et bonne humeur. Il se demande si l’un des trois, ou tous ensemble, étaient là hier, lors de la journée de marche nordique. Ils les imaginent mal à cause du mot « nordique » alors qu’ils sont visiblement d’origine africaine. Mais bon, il a envie d’un Coca. Il se relève, traverse la place comme tous les jours, mais pas tout à fait à la même heure et entre dans la boulangerie.
Portrait doux amer, à la fois quotidien et tragique…
j’ai noté que cette proposition #26 nous a lancés souvent vers des portraits
merci pour cette lecture que j’ai beaucoup aimé…
Merci de cet écho. Tragique ? je ne l’avais pas envisagé avec cette dimension là, mais il y a tellement de choses qui échappent dans l’écriture.
Pascale, ton portrait est touchant. Bien corrélé à la manifestation d’hier.
Merci !
Contente que le portait de cet homme t’ai touché, Fil, et merci de cet écho. J’aime toujours beaucoup regarder ou imaginer les groupes.