Le père Noël passe par les cheminées, moi à travers les murs, les arbres, les grilles et tout et tout. Je m’habille en fantôme et j’avance face à moi. Point de départ : école maternelle du Passage du Tourniquet. Point d’arrivée : entrée du Parc des Guilands. À vol d’oiseau, disons 200 mètres, peut-être moins.
Dans la cour de l’école des enfants jouent, courent, chahutent. Beaucoup de cris, de mots, de gestes et de bruit, des vélos entassés dans un coin, une instit blonde avec une robe verte parle avec ses mains, une autre lui répond avec des mots. Certains enfants ne font que regarder les autres, un ballon rescapé de la fête de fin d’année éclate, dans le platane centenaire une famille de pies fait son nid, des patinettes avachies les unes sur les autres près de l’endroit où je passe un mur, dans le couloir plein de dessins, enfin plutôt de peintures multicolores, quelques soleils et beaucoup de parents chevelus, de mères avec du rouge sur les lèvres. J’entends les gouttes d’eau d’un robinet qui fuit, des vêtements pendus dans les couloirs, un sur le sol. Dans son bureau la directrice trie des dossiers, l’air épuisée, le vent entre par la fenêtre, et les feuilles en haut de la pile s’envolent comme dans un film. De là je passe dans le jardin voisin. Un vrai foutoir, une vieille brouette en métal rouillé, un arrosoir cabossé, des massifs abandonnés, sur le mur une étrange affiche collée « HUE DADA » un homme dans une chaise longue en rotin usagé, les yeux fermés, il fume. Il fait même des ronds de fumée qui montent vers le ciel, plutôt bleu ciel pur. Les fenêtres de sa maison, grandes ouvertes, laissent sortir la voix d’un animateur télé. Dans la cuisine aux murs grisouilles, tout est resté en plan depuis quelque temps. Sur la table, entre une boîte de thon, un saladier où sont restés collés des grains de riz, quelques cannettes de bière vides. Ça sent le célibataire qui se néglige. Dans le couloir au carrelage et un porte-parapluie, les deux des années 50. En face j’entre dans la maison aux murs extérieurs bleu Schtroumpf, avec glycine débordante de joie pourtant ça sent le jasmin dans toute la rue. Une jeune femme donne à manger à un tout jeune enfant plus tout à fait bébé, de la purée de banane. Il bave, elle a posé un torchon à fleurs sur ces genoux, entre les fesses de l’enfant et son jeans. Elle l’appelle mon chou. À côté une enfant dessine aux feutres je ne sais quoi, mais ça déborde beaucoup sur la table en formica jaune. Cette femme doit être très prise avec ses enfants. D’autant plus qu’un autre enfant, plus âgé, déboule des escaliers en criant « je l’ai je l’ai ». Moi je pars de là, et arrive de l’autre côté du mur, mitoyen, chez une dame âgée assise dans un fauteuil confortable. Elle fait des mots croisés, puis elle se lève et revient avec une gomme quand la sonnerie et l’alarme lumineuse de son téléphone l’interrompent. Napperons de broderie sur tout chez elle. De son appartement soigné en rez-de-chaussée, je passe dans la rue, qui monte. Là odeur acidulée de chèvrefeuille. Rue des roulettes, j’entre dans un loft blanc, ancienne fabrique avec des fenêtres sur le toit et briques repeintes en blanc à l’intérieur. Pas une mouche ne vole ici. Air climatisé, aseptisé. Tout est blanc, archi propre, archi. Deux jeunes, casques sur les oreilles, face à leur écran d’ordinateur géant concentrés immobiles. Ça sent rien, enfin si le sérieux. Je passe. Je suis de nouveau dans la rue et j’arrive en face du Parc. Déjà ! Plein d’endroits pas vus. Je le refais dans l’autre sens ?